Avec l’élégance qui le caractérisait, Charles Baron nous a quittés en toute discrétion le 4 octobre au deuxième jour de Rosh Hashana.
Comment ne pas faire le lien avec ce Rosh Hashana de 1944 que ce titi parisien, enfant unique d’un père polonais et d’une mère française décrivait aux groupes de lycéens qu’il amenait jusqu’à ces dernières années à Auschwitz et à Auschwitz Birkenau ?
Je me souviens d’une année ou Charles et d’autres déportés avaient conduit pour une journée en Pologne des lycéens de Bretagne, une région qu’il affectait tant pour des raisons personnelles.
Dans l’avion, les lycéens, dont on devinait facilement qu’ils n’avaient pas tous des ancêtres gaulois, chahutaient, rigolaient, n’ayant aucune idée de ce qui les attendait.
Mais une fois arrivé à Auschwitz, avec son sens de la pédagogie et son charisme naturel, Charles expliquait : « J’avais 16 ans, j’avais votre âge quand j’ai été déporté ici, alors que mes parents étaient exterminés. » Il fit monter les jeunes Bretons en haut de la sinistre tour qui surplombait la voie ferrée où arrivaient les convois. Il racontait : « Une fois les juifs violemment sortis des wagons, la sélection commença entre ceux qui allaient être conduits directement à la chambre à gaz et ceux qui seraient juges bons pour un travail des plus pénibles et infamants. »
Mais ce jour de Rosh Hashana 1944 n’a jamais quitté la mémoire de Charles Baron. En pleine nuit, les nazis illuminèrent le camp d’extermination de Birkenau de façon inhabituelle et les hauts parleurs commencèrent à diffuser du Wagner. Charles vit arriver des centaines d’enfants lituaniens habillés en chemises blanches longues montant jusqu’au coup. On les fit défiler devant tous les prisonniers avant de les conduire à la chambre à gaz.
Comme toujours, Charles décrivait cette scène tout comme sa déportation avec beaucoup de retenue.
Dans l’avion du retour, qui ramenait les lycéens de Cracovie à Rennes, plus personne ne parlait. Les lycéens étaient anéantis.
Charles Baron était né le 18 juillet 1926. Ses parents avaient été pris par la police française lors de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942 et déportés à Auschwitz. Sa mère avait été gazée dès l’arrivée et son père sélectionné pour des « expériences médicales », ne devait pas y survivre.
Charles Baron, après un passage par Drancy, a été déporté à son tour le 18 septembre 1942. Il a fait l’expérience tragique de plusieurs camps dont Auschwitz-Birkenau et Dachau où il a été libéré en avril 1945.
Sans famille, Charles Baron a essayé de se reconstruire après la Shoah. Il a décidé de partager son expérience partout où on était prêt à l’écouter. « C’était un rassembleur », note Stéphanie Dassa, directrice des programmes du CRIF. « Tout comme Henri Bulawko, rescapé lui aussi d’Auschwitz, Charles Banon maniait l’humour, voulant porter son témoignage », relève Claude Hampel, président de la commission du souvenir du CRIF. « Mais il s’inquiétait ces dernières années de la confrontation entre la mémoire et l’histoire. »
Bientôt ce débat sera dépassé. Des témoins de l’indicible comme Samuel Pisar, Primo Levi, Elie Wiesel et d’autres contemporains moins connus de la Shoah disparaissent. Certains se sont tus, d’autres ont parlé, considérant que garder le silence était impossible.
Mais maintenant, qui va transmettre et qui va vouloir s’intéresser à la Shoah dans la communauté juive et au-delà, 71 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale ?