Joseph Macé-Scaron, grande plume de « Marianne », qui se trouve être l’auteur par ailleurs d’un excellent livre sur Montaigne et d’une non moins passionnante analyse sur « La tentation communautaire », nous revient avec un ouvrage où se mêlent de bonnes intuitions et des généralisations discutables.
Il a raison de décréter que la piété peut être dangereuse. Toutes les piétés et toutes les formes de piété. Il a raison de formuler un certain nombre de vérités qu’on ne lit que sous sa plume et qu’il est le seul à dire. Il a raison d’écrire ce que tout le monde a oublié, que l’Algérie a été un véritable laboratoire de l’islamisme radical. Il a raison de s’en prendre au Slovène Slavoj Zizek quand celui-ci affirme que le radicalisme islamiste exprime « la rage des victimes de la mondialisation capitaliste ». Ou à l’Américaine Judith Butler quand elle situe le Hamas ou le Hezbollah comme des mouvements « sociaux progressistes » (sic).
Il a raison quand il rappelle la situation déplorable des femmes dans les trois monothéismes, et cette conversation étonnante qu’il eut naguère avec Simone Veil. L’ancienne présidente du Parlement européen lui disant sèchement : « Vous n’avez rien compris, dans quinze ans, dans vingt ans, la situation des femmes aura sans doute régressé ». Elle avait eu du flair il y a vingt ans, quand elle expliquait au jeune journaliste que rien n’est plus précaire que les droits des femmes. Du flair et de la prémonition.
Les réserves ? Non, cher Joseph Macé-Scaron, il n’y a pas de ministres qui se rendent à des manifestations du Crif en portant kippa. Et quelle raison y aurait-il de le faire, le Crif n’étant pas une association religieuse ?
De même, mélanger les manifestations religieuses dans l’espace public (burqa, burkini, vêtements) et puis les manifestations religieuses dans l’espace privé (ne pas laver deux vaisselles dans le même évier) n’est pas rendre service à la clarté du débat. Emporté dans son élan, il arrive à notre auteur de confondre allègrement les deux registres.
Le fanatisme, l’obscurantisme, l’intégrisme sont associées depuis maintenant quelques années à la religion, ou plus exactement à une religion particulière. Est-ce une raison pour mettre tout le monde dans le même sac et décréter que « la religion porte en elle désormais le fanatisme, l’obscurantisme, le dogmatisme comme la nuée porte l’orage » ?
Joseph Macé-Scaron ne fait pas de quartier. Sa thèse dans ce livre – intitulé « L’horreur religieuse » – consiste à affirmer qu’il y a toujours quelque chose de religieux dans le fond du fond de l’intégrisme. Il dénonce dans les religions – toutes ! –, « une déchéance de la rationalité ». Il plaide contre la sainte alliance des curés, des imams et des rabbins qui nous somment de nous ranger aux appels de « l’ordre naturel ». On ignore où il a pris que les religions étaient adeptes de l’ordre naturel, ou plutôt si, on croit le deviner, il enfourche en fait les « dadas » de Michel Onfray qui lui-même se fondait sur « la violence monothéiste » de Jean Soler, pour égrener tous les passages de la Bible où la violence est présente, ce qui le conduit, emporté par le style mordant et corrosif qui est le sien, à se laisser aller à un tir groupé et indistinct contre toutes les croyances religieuses. Qu’ont apporté les religions au monde ? Rien, dit Macé-Scaron. Rien vraiment ? Rien d’autre que le niqab, le voile ou le hijab ? Avez-vous un seul passage de la Bible qui parle de « transmission », demande l’auteur ? Mazette, dirait Molière ! On en a cent à son service ! Que dis-je cent ? Mille ! La Bible ne parle de rien d’autre !
Il est vrai que les textes religieux, livrés bruts de décoffrage, sans nuance, sans commentaire, sans interprétation, tels qu’ils sont lus par des bandes d’abrutis adeptes du littéralisme – on concédera à l’auteur que ces bandes par les temps qui courent sont devenues légions -, contribuent à abêtir toute la corporation. On ne parle jamais autant du contrat d’alliance entre les religions que depuis que la facture à payer est particulièrement lourde pour tout le monde. On veut bien être œcuméniques, mais tant qu’à nous décréter actionnaires à parts égales, autant que ce ne soit pas sur une affaire foireuse !
Pour le reste, un monde sans religions serait-il plus calme ? On aimerait le penser comme nous y invite l’auteur. Malheureusement, on n’en est pas si sûr!
S.M.