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Littérature

Plume de portraitiste

Journaliste littéraire au Monde, Josyane Savigneau réunit plusieurs personnalités exceptionnelles dans un recueil d’articles. Elle revient sur ces rencontres enrichissantes, voire parfois croustillantes, qui lui ont permis d’approcher les grands. Comment les a-t-elle perçus ? Qu’a-t-elle ressenti ? Que lui ont-ils appris ?

 

Josyane Savigneau n’est pas née dans le sérail de la presse, elle est cependant devenue l’une des papesses des pages littéraires, qu’elle a longuement dirigées au Monde. Une carte de visite qui lui a ouvert les portes d’innombrables écrivains, figures intellectuelles et culturelles reconnues ou méconnues. Mais c’est surtout sa curiosité, sa subtilité et sa perspicacité qui lui ont permis de les approcher. La journaliste reste toujours à sa modeste place, celle qui consiste à saisir une clé de l’œuvre. Celle de la go-between dressant une passerelle entre un auteur et ses lecteurs. Parfois, la magie prend et se prolonge en amitié, mais il arrive que les interviewés se referment comme une huître (cf. Toni Morrison). Fascinée, Josyane croque avec justesse ces parcours de passionnés (Doris Lessing, Patricia Highsmith, Salman Rushdie, Jérôme Lindon). On la retrouve au Flore pour en parler.

 

L’Arche : D’où vous est venue la passion de la littérature ?

Josyane Savigneau : Petite, j’adorais déjà lire. Mes parents n’étaient pas des intellectuels, mais ils étaient soucieux que je fasse des choses qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de faire. Parti à la guerre, mon père avait devancé l’appel officiel, mais il a passé cinq ans comme prisonnier. Il a ensuite repris l’épicerie familiale. Ma mère est restée mère au foyer. Tout deux étant très ouverts, ils ne m’ont jamais empêchée de lire ce dont j’avais envie, même si ça semblait inapproprié pour mon âge, comme « Le matrimoine » d’Hervé Bazin, découvert à l’adolescence.

Avec « Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir, pourquoi avez-vous eu « le sentiment que ce texte avait été pour moi. » En quoi a-t-il modifié votre trajectoire ?

J’étais dans un lycée pour jeunes filles. Au départ, Simone de Beauvoir représentait juste la femme de Sartre, mais une copine m’a filé « Mémoires d’une jeune fille ». Quel choc ! C’est là que j’ai réalisé qu’on n’était pas obligé de reproduire ce pour quoi on avait été programmées. « Le deuxième sexe » représentait à l’époque un livre interdit. J’avoue que je n’ai pas tout compris (rires), mais j’ai senti qu’il contenait quelque chose d’important, vers lequel il me fallait revenir plus tard. De Beauvoir m’a permis de reconsidérer ma vie… Ce n’était pas évident de devenir journaliste, mais j’ai tout fait pour y parvenir. Après une école spécialisée, je suis partie deux ans aux Etats-Unis pour perfectionner mon anglais. Être stagiaire, puis journaliste au Monde, cela ne se refuse pas !

Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans le journalisme littéraire ?

Je ne me perçois pas comme critique car il s’agit là d’un autre rapport au texte. Pourtant j’étais convaincue à mes débuts, que cela ne servait à rien de rencontrer les écrivains. Tout était dit dans leurs livres, alors à quoi bon ? L’entretien permet d’aller plus loin, mais il faut être deux pour qu’il y ait une vraie rencontre. Ainsi, j’étais très admirative de Simone de Beauvoir, mais je me suis retenue de le lui dire. Avec Philip Roth, ça s’est très mal passé la première fois, pourtant j’y suis retournée. J’aime les passionnés, les parcours uniques qui s’écartent de la conformité, comme le collectionneur d’art Ernst Beyeler. Quelles sont les conditions de l’écriture et de la création ? Voilà ce que je tente d’approcher à travers ces portraits. Impossible de forcer la confidence, mais elle peut surgir de façon inattendue. L’idée étant avant tout de ramener les lecteurs de l’article vers les livres des auteurs en question.

Dominique Rolin soutient que « ne pas écrire serait pour moi une faute originelle ». Qu’apprenez-vous auprès des écrivains, dont certains sont devenus des amis ?

La rencontre constitue un moment étrange et privilégié. Il y en a qu’on ne revoit jamais, (ex. Toni Morriso, d’autres avec lesquels on noue des liens comme Philippe Sollers, Philip Roth ou Dominique Rolin. J’admirais cette dernière car elle était juste là pour écrire. Certains nous offrent des leçons de vie, telle que Françoise Sagan nous démontrant à quel point l’écriture est fondamentale. Comment lire, écrire et vivre en même temps ? Je m’attache tant aux grands noms qu’à la littérature qui est en train de naître. Le plus cadeau de ce métier, c’est de le faire.

 

Josyane Savigneau, La passion des écrivains. Éditions Gallimard.