Après un premier film remarqué « Les Voisins de Dieu (Ha-Mashgihim) » sorti en 2012, le cinéaste Meni Yaesh revient avec « Notre Père » pour nous offrir une parfaite conjugaison entre film noir et film social. Porté par une histoire forte et une mise en scène millimétrée, ce long métrage nous plonge au cœur du milieu de la mafia israélienne avec en toile de fond le difficile parcours d’un couple qui n’arrive pas à avoir d’enfant. Le film a été présenté en avant-première, et en présence du réalisateur, le 18 décembre dernier dans le cadre des dimanches israéliens des 7 Parnassiens à Paris. Chaudement accueilli par un public venu en nombre, le film attend, encore à ce jour, une date de sortie officielle dans les salles françaises.
Le personnage principal, Ovadia, pivot d’une vertigineuse descente dans l’univers de la nuit israélienne, est formidablement incarné par Moris Cohen. Acteur reconnu que l’on a pu déjà voir dans la série israélienne « Dig » et dans des films comme « Jaffa » de Keren Yedaya, ou « Le Policier » de Nadav Lapid, il emporte le spectateur à travers le dédale existentiel d’un personnage en proie à tous les sacrifices pour devenir père.
Ovadia et sa femme (Rotem Zismann-Cohen), après avoir effectué une dizaine de tentatives de procréation médicalement assistées infructueuses, tentent tant bien que mal d’avoir un enfant. Honnête videur d’un night club, Ovadia se frotte parfois brutalement aux profiteurs du lieu et autres dealers de passage qui tentent d’abuser du lieu où il travaille. La journée, lui et sa femme, se retrouvent, pour passer des salles d’attentes de l’hôpital à celle d’un rabbin. Un soir, il se fait alors remarquer pour ses qualités de bagarreur par un parrain de la mafia israélienne, Shalom Rosenthal (Alon Dahan) qui lui propose des contrats sordides mais fort bien payés. Ovadia accepte à contrecœur les propositions malhonnêtes de Rosenthal dans le but de pouvoir payer à sa femme les frais d’une clinique privée réputée pour ses résultats. Un cercle vicieux s’ensuit dans lequel Ovadia se voit prêt à tout sacrifier : son honneur, son travail, son chef sorte de père spirituel… Il va ainsi mettre en jeu sa vie et celle de ses proches.
« Notre Père – Avinu » possède ce sens de la narration et du montage qu’on trouve chez les réalisateurs américains qui ont incarnés le Nouvel Hollywood. Meni Yaesh le confie lui-même, il s’est nourri de tout le panorama que peut offrir les premiers films de Coppola, Scorsese ou De Palma. On pense aussi au premier film d’un autre cinéaste de cette vague américaine : Michael Mann, avec « Thief » (Le Solitaire) sorti en 1981 dont le scénario d’« Avinu » est très proche voir calqué sur ce dernier. Il décrit comment un bandit de haut vol pactise avec un caïd sans foi ni loi afin de pouvoir réaliser enfin son rêve de fonder une famille.
C’est par son réalisme tranchant que le film de Meni Yaesh nous renvoie aussi à « Mean Streets » de Martin Scorsese. On repense à cette formidable peinture des bars malfamés et boîtes de nuit où se produisent les affrontements entre « petites frappes » des quartiers de little Italy à New-York. Les tensions et règlements de comptes se trouvent dans « Avinu » transposés en luttes fratricides entre les milieux ashkénaze et séfarade israéliens. Ces paysages urbains que dépeint Meni Yaesh sont typiques d’un Israël qui est peu abordé au cinéma. La musique électro-orientale kitsch jouée dans le club ou les costumes des personnages aux allures bling-bling sont de fortes indications de lieux. Pour le réalisateur, la réalité est encore plus dure que celle décrite dans le film. Une réalité qu’il a connue au cours de sa jeunesse, parfois dans les mêmes quartiers où le film se déroule. Ce vécu crève l’écran dans des scènes incarnées par des acteurs totalement engagés : Morsio Cohen et Rotem Zismann-Cohen qui forment un couple à l’écran comme à la ville, en tête.
Malgré quelques scènes d’actions efficaces mais un peu gratuites, Meni Yaesh tient toujours la tension dramatique qui se joue entre les personnages. Entouré d’un sous texte religieux, le film tente une forme que le réalisateur nomme kasher, parce qu’elle ne contient pas de scène de nudité. Il continuera d’explorer ce parti pris dans son prochain film. Si M. Yaesh se définit lui-même comme croyant, il explique que son film contient une approche philosophique en questionnant le prix à payer pour arriver à la paternité. La scène étonnante où Ovadia demande à un Rabbin réputé ce qu’il doit faire pour avoir un enfant avec sa femme, nous montre le choix cornélien qu’il va entreprendre pour accomplir sa destinée : agir ou ne pas agir ?
« Avinu », est un long métrage survolté mais qui sait aussi retrouver la sérénité comme lors de ce moment d’harmonie du couple autour d’une Brit milah. Il explore la loi régulatrice des pulsions et la complexité de l’âme d’un homme croyant qui veut protéger sa famille en commettant le pire, quitte à être englué dans les remords et la culpabilité. Bien plus qu’un simple polar et véritable film coup de poing, « Notre Père – Avinu » adopte une approche presque sociologique de par l’intrigue et la situation du pays qu’il décrit. Gageons fortement que cette perle noire du cinéma israélien trouve le moyen d’être distribuée prochainement, et ce afin d’être partagée par un large public.