L’actrice interprète aux côtés de Patrick Bruel les parents de Joseph Joffo. Elle nous parle du film tiré du livre et réalisé par Christian Duguay.
L’Arche : Le film réalisé par Christian Duguay semble être non pas un remake du film de Doillon mais une adaptation plus fidèle au livre.
Elsa Zylberstein : J’avoue ne pas avoir vu le film de Doillon. Le livre se trouvait dans la bibliothèque de mes parents. Il faisait partie de ma vie. Mes parents tenaient à ce que je le lise. On en avait aussi parlé à l’école. Lorsque Christian Duguay m’a contactée et m’a demandé de le rencontrer, je me suis replongée dans le livre. Dans cette histoire et mon imaginaire. Même Christian souhaitait que je reste sur le livre et que j’évite de voir le film précédent.
Il y a dans le livre et dans le film l’image du père fort mais aussi celle de la mère forte. Ces deux personnages qui doivent donner aux enfants le courage de partir.
C’est une belle histoire de transmission, de confiance. Il faut avoir la force de dire à ses enfants « allez vous-en ! ». C’est un couple d’artistes au départ. On le voit avec la scène du violon. Des artistes itinérants qui possèdent cette dimension et puis surtout qui s’aiment de manière très belle. Quand ils disent à leurs enfants de s’en aller, c’est l’histoire qui se répète pour eux.
Les deux ont vécu cela. Sa mère avait organisé un groupe tzigane en fuyant les pogroms, partant sur les routes des grandes villes européennes. Ce sentiment de l’urgence du départ et de se dire « on n’est pas sûr de survivre tous ensemble, mais vous, au moins, devez partir ».
Exactement. Pour les générations à venir, pour votre survie et la transmission. Pour que ceux qui vous suivront soient aussi au courant. Comme on peut aussi le voir dans le très beau livre de Marceline Loridan-Ivens, Et tu n’es pas revenu.
Comment se fait-il, selon vous, que le livre Un sac de billes touche autant de générations ?
On retrouve un côté universel dans le roman. Cette histoire qui peut se répéter. Au-delà de la guerre et d’une période de chaos, on voit la dimension humaine. Comment la France a été envahie. Comment certains ont collaboré et d’autres résisté. Comment on survit à l’horreur en s’en allant et en laissant tout derrière soi. Cette fuite brutale est un phénomène qui se répète dans l’histoire comme on le voit aujourd’hui. Ce sont des histoires de vie, de survie qui sont communes à l’humanité.
On ressent dans l’histoire l’étonnement que cela puisse arriver en France. Les Joffo sont très attachés à la France et aux valeurs qu’elle défend, comme l’explique Roman Joffo à Joseph lorsqu’ils passent devant les mots « Liberté, Égalité, Fraternité » inscrits sur le mur de la Mairie du 19e. Pour eux, ce fut inconcevable.
C’est pour cela qu’on y retrouve une résonance avec ce qui se passe aujourd’hui. Les immigrés qui sont venus ici et qui ont cru à cet Eldorado que représentait la France. C’était leur refuge, leur espoir.
Faut-il, aujourd’hui, encore plus insister sur ces valeurs face à tous les dangers contemporains ?
Évidemment que c’est important. Ce n’est pas dans l’exclusion et dans les extrêmes que l’on va s’en sortir.
Joseph et Maurice passent d’une enfance perdue à l’âge adulte, leur adolescence étant volée. Le film montre bien cette précipitation vertigineuse.
L’adversité force une conscience du monde et une lucidité par rapport à l’horreur. Une obligation de se prendre en main. Très jeunes, on leur demande d’agir en adultes. On voit dans le film comment cette réalité se mêle parfois avec leurs querelles d’enfants. C’est ça aussi qui est beau dans cette œuvre. C’est un film très populaire au sens noble du terme.
Comment s’est passé le tournage ?
Cette rencontre fut merveilleuse. Christian Duguay un grand metteur en scène. Il cadre lui-même, ce qui est un plus pour les acteurs. Il est proche de ton émotion. Il te parle pendant qu’il tourne. Il a ce côté nord-américain où il sait comment raconter une histoire et il a ce côté européen où il est proche des êtres. J’étais très heureuse que le film se refasse, avec lui. Il était très présent avec les enfants. Il ne les a pas lâchés, proche de leur cœur et de leur âme. D’autant plus que ce sont des rôles très difficiles, que les enfants interprètent de manière fabuleuse.
Une des plus belles scènes, à mon avis, est le moment des retrouvailles sur la plage, un bonheur intense et bref au milieu du chaos.
Récemment, Claude Lelouch me disait : « Les gens qui ont vécu les plus grands drames sont les gens qui sont les plus heureux aujourd’hui. » Ceux qui passent par de terribles pertes savent le mieux apprécier le bonheur par la suite. À la plage, on voit les parents apprécier tout simplement ces retrouvailles, voir leurs enfants rire, tous ensemble. Ils ne demandent que ça à la vie. Ils savent ce que représente le fait d’être juste ensemble.