Dans son livre Kurt (publié chez Plon), Laurent-David Samama se confronte à la personnalité du leader de Nirvana, essayant d’imaginer les confessions d’un homme déçu par l’évolution de son art, ou plutôt de ceux qui le représentent à longueurs de clips préfabriqués. Un livre d’écorché sur un homme qui l’est au moins autant.
L’Arche : Comment est née cette volonté (et ce culot) d’écrire a la première personne sur cette grande figure ?
Laurent-David Samama : L’idée est née d’une double rencontre avec Lisa Liautaud, mon éditrice, et Amanda Sthers qui dirige la collection Miroir, chez Plon. Nous voulions consacrer un roman à cette figure des 90’s qu’est Kurt Cobain, raconter sa musique, sa trajectoire météoritique, son coté écorché vif. Kurt Cobain étant un romantique à l’écoute des sensations, il paraissait évident de le raconter à la première personne, en écrivant de son point de vue. Et puisque son groupe Nirvana a émergé grâce à l’essor du videoclip, il paraissait logique que le héros se confie à son caméscope.
Vous abordez de nouveaux thèmes dans ce livre. Pourquoi ces choix ?
Il s’agit certainement d’une question de génération. Les écrivains du baby-boom parlent de libération des mœurs et d’espérance en des lendemains qui chantent. De mon côté, j’avais envie de faire du grunge une matière littéraire. Cela implique un certain rythme dans l’écriture et du réalisme quant aux sujets abordés. Dans ce premier roman, je retranscris le monde tel que Kurt Cobain le voyait : sombre, angoissant, relativement imparfait. Le propos colle à l’époque.
On ressent une volonté de parler d’une autre Amérique, celle inspirée par la Beat Generation. Cela semble être encore plus d’actualité aujourd’hui de montrer cette Amérique différente.
Nirvana émerge dans l’Amérique de Bush père. Cela ne doit rien au hasard. À l’instar des punks qui se sont révélés dans l’Angleterre de Thatcher, leurs héritiers grunge apparaissent comme une épine dans le pied de l’Amérique républicaine. Avec leur musique saturée et leurs paroles pessimistes, Ils agissent alors comme une sorte de contre-pouvoir, en opposant un visage précaire et révolté au grand récit du consumérisme triomphant. Bien évidemment, à l’heure où les Etats-Unis basculent d’Obama à Trump, le roman porte en lui les germes de ce message politique contestataire. Il s’agit d’un éternel recommencement.
Nirvana représentait-il une des revanches sur la médiocrité de l’industrie musicale des 80’s dans la fabrication des tubes comme vous le montrez avec le groupe Europe ?
On peut le dire ainsi. Le grand combat de Cobain se joue dans la liberté de créer sans être à la merci des tendances dictées par sa maison de disque, son manager ou son public. Ses ennemis ? Le groupe Europe qu’il tient pour un assemblage de guignols, les Guns N’ Roses et toute cette musique fabriquée pour plaire mais dépourvue d’âme. L’obsession de Kurt était claire. Il voulait faire la nique à ce qu’il nommait « la Goinfrerie » en opposant une résistance artistique systématique au « merdique qui bouche les artères de l’honnêteté et du talent véritables. »
2016 a été une année difficile pour les grands noms. Quels départs ont été particulièrement marquants pour vous ?
Il sont tellement nombreux… Le décès d’Elie Wiesel représente un tournant. J’avais eu la chance de le recevoir à deux reprises à Paris pour un séminaire puis un entretien publié dans l’Arche. De même, la disparition de Shimon Pérès signifie la fin d’une époque pour les juifs du monde entier. Et puis il y a David Bowie, Sonia Rykiel, Leonard Cohen et Johan Cruyff. Autant de géants d’hier qui sont des inspirations pour demain.