Philosophe, essayiste – elle nous avait donné un prodigieux « Musée imaginaire de Hannah Arendt »- , enseignante au centre Sèvres, Bérénice Levet a entrepris dans ce nouvel essai décapant de déboulonner les « idoles progressistes » qui continuent de nous gouverner mais dont l’étoile a déjà singulièrement pâli.
De fait, l’histoire qu’elle nous raconte remonte aux 45 dernières années. C’est au début des années 70 que tout commence. La naissance de « Libération », l’essor de la nouvelle vague, l’éclosion du nouveau roman… Tous ces phénomènes qui ont œuvré de concert pour « abolir le vieux monde »… Résultat : l’idéologie progressiste a fait de nous des « voyageurs sans bagages » qui refusent de porter le « fardeau du siècle » et ne connaissent que le présent et l’avenir.
Résultat encore : la notion de « continuité historique » (qu’elle puise chez Ortega Y Gasset) s’est effilochée, « nous avons troqué la continuité contre la fluidité », la place du livre dans nos vies s’est restreinte au profit du tactile et du numérique, on récuse les données anatomiques en « se jouant des genres », on transforme l’école en « centre d’animation », on règle ses comptes avec la figure de Mozart (on retrouve le même exemple chez Levet et chez Bruckner : L’été 2016, Christophe Honoré monte à Aix en Provence le Cosi Fan Tutte de Mozart en le transposant dans l’Erythrée des années 20 à l’époque de Mussolini)… Comment, se demande-t-elle, un homme comme Marc Crépon, lecteur de Hannah Arendt et de Simone Weil, a-t-il pu dire que les racines appartiennent au « bêtisier suranné de la pensée de droite ? »
La culture est morte ? Oui, dit l’auteur. Et son brillant lamento, puisé aux meilleures sources et nourri d’une belle érudition, a des accents convaincants. A deux réserves près. Les critiques de livres, de films, d’expositions ne se réduisent aux chroniques de « Libération ». Et l’ouverture à l’autre n’est pas un gros mot qu’il faudrait jeter avec l’eau du bain. C’est même précisément le problème : un des maux de l’islam contemporain (voir le livre de Didier Leschi), une de ces maladies (pour reprendre le mot d’Absdelwahab Meddeb), c’est précisément le refus de toute altérité (le chrétien, le juif, le yezidi, la femme, l’homosexuel…). C’est le mal qui ronge au plus profond et qui conduit à la régression, à l’obscurantisme et au fanatisme religieux.