Le documentaire « Martin Buber – Itinéraire d’un humaniste » de Pierre-Henri Salfati, vient de sortir récemment en dvd aux éditions CPB / Arte vidéo. Il retrace le parcours passionnant de l’un des plus grands penseurs, philosophe et humaniste du vingtième siècle. L’œuvre de Martin Buber est immense par sa diversité : des essais aux traductions bibliques hébraïques en allemand, ou encore des romans aux correspondances qu’il a entretenues avec les esprits les plus illustres. Ce film peint avec justesse le portrait d’un homme en prise avec une époque traversée par les sursauts de l’Histoire. Son œuvre mérite aujourd’hui d’être lue tant sur le plan idéologique et politique que philosophique
Pierre-Henri Salfati prend comme point de départ la commande que le galeriste new-yorkais Ronal Feldman passe à Andy Warhol en 1980 : dix portraits des figures du judaïsme qui ont marqué le siècle. Parmi les centaines de photos mises à sa disposition, l’artiste se décide pour les portraits de Sigmund Freud, Gertrude Stein, Franz Kafka, Gold Meir, Albert Einstein, Sarah Bernhardt, Georges Gershwin, les Marx Brothers, Louis Brandeis et Martin Buber. Tout d’abord choisi pour la beauté de son visage et parce qu’il n’avait jamais entendu parler de lui, Warhol écrit dans son journal : « … mais qui est ce Martin Buber ? ».
Martin Buber nait à Vienne en 1878 et meurt à Jérusalem en 1965. Il consacre ses écrits et son engagement à œuvrer pour un meilleur rapprochement entre les hommes. Dans l’aventure de cette rencontre entre le « Je » et le « Tu » qui est, pour Martin Buber, à l’origine de l’Humanité entière, il ne cesse de poursuivre et de diriger ses recherches vers l’idée de « Paix universelle ». Il entretient une correspondance suivie de plus de cinquante mille lettres avec ses contemporains, tous admiratifs et respectueux de ses idéaux. Pour n’en citer que quelques uns : Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Lou Andreas Salomé, Franz Kafka, Walter Benjamin, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Gaston Bachelard, Gandhi, Martin Luther King, ou encore Allen Ginsberg qui dans les années soixante va distribuer aux étudiants les manifestes pacifistes de Buber. La majeure partie des manuscrits de Martin Buber sont actuellement conservés à la Bibliothèque Nationale de Jérusalem et constituent un véritable trésor national.
Le documentaire de Salfati compile habilement entretiens, extraits de discours ou de films d’archives commentés par des personnalités qualifiées comme Dominique Bourel, Denis Charbit, ou Michael Löwy. Tour à tour, ils nous renseignent et témoignent de leur connaissance du philosophe conteur. Le sous-texte lu en voix-off, bien que studieux, nous apporte toutes les clefs essentielles pour s’aventurer dans la pensée de Martin Buber.
Le film revient sur les rencontres déterminantes qui ont façonné le philosophe, comme celle avec son grand-père Salomon Buber, juif éclairé de type Maskil d’Europe orientale, pour qui il éprouve une infinie gratitude. Grâce à l’enseignement de cet homme, Martin Buber se consacre très tôt au service des sciences juives, de la pensée et de l’humanité. C’est avec son père, un homme de la terre, que lors de voyages épisodiques à Sadhora, il rencontre le savoir au contact des grandes dynasties hassidiques qui y vivent. Ses connaissances de ce monde auront pour lui une influence indéniable dans son parcours et ses futures recherches.
Abandonné dès le plus jeune-âge par sa mère, Martin Buber attend avec humilité et jusqu’à la fin ce rendez-vous manqué. Il ne cesse de tutoyer celle dont l’absence l’obsédait. « Elle laissa dans mon cœur une empreinte qui s’approfondie avec le temps (…). » écrivait-il ; « Je suppose que cette expérience est à l’origine de toutes les expériences de rencontres authentiques faites au cours de ma vie. » Cette présence de l’absence se transforme en l’origine de son fameux essai: « Je et Tu», publié en 1923. Au « Je pense, donc je suis » qui modèle l’occident depuis des siècles, pourrait se substituer, selon Buber, un « Tu es, donc je suis », définissant la vie de tout un chacun par la succession de rencontres.
Un seul article de quelques signes ne peut résumer l’immense pensée de Martin Buber, ainsi que l’héritage qu’elle nous laisse pour une meilleure appréhension de l’époque contemporaine. Le portrait filmé que livre Pierre-Henri Salfati nous offre un moment, à la portée de tous, pour se plonger dans cette indispensable et infinie sagesse. Joachim Gauck, l’ex-président de la République fédérale allemande, tente de dessiner la figure de Martin Buber lors d’un vibrant hommage qu’il rend pour le cinquantenaire de sa mort, par ces mots : « Il ressemblait à un prophète peint par Michel-Ange ou Dürer. Il semblait sortir des temps anciens, et pourtant, il a un message à nous apporter pour le présent. Ce principe du dialogue et d’une véritable rencontre entre « Je » et «Tu », l’acceptation de l’autre comme son égal, aussi bon, aussi ouvert et apte à recherche la vérité, n’est-ce pas aujourd’hui encore le plus important ? ».
« Au commencement est la rencontre.
La rencontre a précédé notre propre existence,
une rencontre succède immédiatement à notre venue au monde.
Ainsi s’égrène la vie de chacun, rencontres après rencontres…
Aussi, il ne convient plus de laisser l’égo d’un seul homme penser le monde pour l’ensemble. »
Martin Buber