Sarah Halimi, deux noms qui cognent déjà bien fort à nos mémoires.
Deux noms qui semblent constituer à eux seuls un résumé de l’horreur que nous avons ressentie en apprenant l’assassinat par défenestration d’une femme juive à Paris.
Puis un vertige nous a saisis devant les approximations et rumeurs qui n’ont cessé de fleurir dans la presse juive, et parallèlement, devant le silence presque assourdissant du reste des medias.
Entre colère et prière, nous avions pourtant besoin de mots et d’explications. Nous avions droit au partage de nos interrogations mais aussi de nos plus sombres pressentiments et de nos inquiétudes.
Les grands medias n’ont consacré à ce meurtre que quelques entrefilets fort discrets. Réservant à ce « non événement » moins de larmes et d’encre qu’à la triste histoire d’un chaton défenestré l’an dernier.
Des grands medias pourtant terriblement bavards, prompts à décrire les frasques sentimentales, sexuelles ou judiciaires des « grands » de ce monde et autres petites phrases hors contexte des « politiques ». Beaucoup trop de ces medias nous offrent trop souvent tous ces petits riens qui reflètent et saturent dans le même temps « l’air du temps ». On se demande parfois jusqu’où ira cet « empire du rien » que dénonçait Benny Levy, cette entreprise de “décivilisation” qui nous défait tous lentement mais sûrement. Ceux-là pourtant n’ont pas réellement rendu compte du terrible meurtre commis dans la nuit du 3 avril dernier à Paris dans le 11e arrondissement.
Sarah Halimi, médecin et directrice de crèche a été assassinée à 4 heures du matin, battue puis défenestrée vivante de son balcon du 3e étage.
L’effroi, encore une fois devant ce meurtre qui nous rappelle une triste scène du Pianiste de Polanski.
Face à l’horreur, il y a souvent deux tentations : celle de l’évacuer en se disant que « non bien sûr, cela n’a rien à voir » et une autre symétrique, celle qui consiste à avoir bouclé l’enquête avant même qu’elle n’ait commencé.
Son assassin est un homme de 27 ans, un voisin « déséquilibré ».
Dans la colère, mais aussi souvent dans l’outrance*, certains sites communautaires, sans aucune précaution ont relayé puis déformé les faits. Ceux-là n’ont mentionné que sa religion, écrivant “musulman” car, à leurs yeux, cela devrait immédiatement signer le crime…et se passer de réflexion. Ici et là, on a écrit un peu vite qu’il parlait arabe, ce qui est peu probable chez cet homme d’origine africaine. Que l’assassin était un jihadiste « radicalisé » qu’il avait brandi un coran, asséné à sa victime des coups de couteau, ce qui est d’ors et déjà contredit par l’enquête. Mais le fils de Sarah aurait évoqué d’autres agressions, des insultes antisémites répétées
Le dimanche qui a suivi le meurtre, j’ai participé à la marche qui rendait hommage à Sarah, j’y ai rencontré Aicha une voisine de Sarah, elle tient à me dire : “vous savez, on vit tous ensemble finalement” et me murmure : » c’était un drogué, il insultait tout le monde” …
Aicha m’introduit dans l’immeuble puis dans le jardin intérieur où Sarah a trouvé la mort et où nous déposons nos roses. Elle me montre les balcons, celui de l’assassin au deuxième étage, puis celui de Sarah au troisième sur l’aile mitoyenne de l‘immeuble ; un balcon qui ne fut pas très difficile à enjamber. Pourtant, avant de surgir chez sa voisine, le meurtrier aurait d’abord tenté de pénétrer chez ses voisins maliens … Voilà qui fragilise la thèse d’un meurtre antisémite prémédité.
Le déséquilibre de cet homme, interné à ce jour en psychiatrie, ne fait pas de doute. Toutefois on peut se demander pourquoi sa « folie » qui a consisté à terroriser ses voisins maliens s’est muée en meurtre arrivé chez Sarah…
La folie nous renseigne aussi parfois sur l’état d’une société. Avec la même pathologie, on peut nourrir et parler aux pigeons ou assassiner en pleine nuit une femme juive… Question de choix peut-être, de ce « libre arbitre » dont Foucault disait qu’i subsistait même chez les plus grands déments …
Devons-nous être condamnés à la “désinformation” ou au silence (chacun des deux termes se nourrissant de l’autre). Quel est ce « non lieu » qui vient contrer les « rumeurs”. Quel est ce nom « juif » qui toujours excède, un nom qui, s’il n’est pas brandi doit vite être effacé ? Car le non lieu du motif antisémite semble avoir effacé aux yeux de certains le crime lui-même, la personne elle-même… Comme si le Juif, pour le meilleur mais aussi pour le pire devait nécessairement disparaître derrière son nom…
On peut légitimement se demander s’il y aurait eu autant de rumeurs mais aussi autant de silence autour du meurtre d’une femme « anonyme » défenestrée par un assassin « sans nom ».
Et si la vérité était au milieu ? Et si la judéité de Mme Halimi avait été une circonstance aggravante, un accélérateur de déséquilibre ? Cela ne serait pas la première fois et rejoindrait d’autres noms comme ceux de Sebastien Sellam, Alain Ghozland et d’autres. Peut être n’en saurons-nous jamais rien.
Le procureur de Paris, François Molins a accepté de répondre aux inquiétudes et d’échanger sur l’enquête actuellement en cours. Il a expliqué qu’à ce jour, il était « impossible » de savoir s’il s’agissait « d’un acte antisémite ou pas ». Selon lui, rien ne permet de retenir le caractère antisémite et rien ne permet non plus de l’exclure. Il y a désormais dans cette double vigilance, une sagesse républicaine que l’on doit saluer et dont nous devrions peut-être nous inspirer.
Dimanche 9 novembre, il y eut une « marche blanche pour Sarah ». Plus d’un millier de personnes, Juifs du quartier pour la plupart ont défilé dans le chagrin et la dignité. J’ai été, encore une fois étonnée et rassurée de l’écart qui existe entre la “décence ordinaire” de ces gens dont parlait si bien Orwell et les gesticulations de certains « représentants” et irresponsables communautaires.
Certains portaient des pancartes : « Nous sommes trop gentils, souvenons-nous de Varsovie ». Le passé est si lourd, la longue solitude juive que j’ai un peu racontée * si présente qu’il est normal et légitime de ne point nous satisfaire de ces entrefilets dans la presse. Nous avons le droit de pleurer, de nous interroger, d’essayer de comprendre, peut être même à y renoncer. Nous sommes nombreux à souhaiter un partage que ni les outrances ni le silence ne sauraient remplacer.
* Le Crif, face à des rumeurs aux relents parfois nauséabonds a choisi, avec dignité, la prudence.
*Auteur de “Que sont mes amis devenus : les Juifs, Charlie puis tous les nôtres” aux éditions le bord de l’eau.