Avant d’être élu le 26 juin dernier à la tête de L’UEJF, Sacha Ghozlan, 24 ans, poursuivait son parcours de droit parisien, de l’université d’Assas, en passant par la Sorbonne et Dauphine. Le barreau pourtant en poche, il décide de mettre un début de carrière prometteur entre parenthèses et de s’engager complètement en tant que Président de l’organisation : « J’avais envie de m’impliquer, à ce moment de la vie propice à l’engagement et parce que beaucoup de questions graves se posent maintenant (menace terroriste, la montée du populisme, de l’extrême droite, la question des actes antisémites et racistes), soient beaucoup de sujets que l’on peut traiter à l’UEJF avec la possibilité d’avoir une influence. En tous cas, on a envie d’y croire. »
Y-a-t-il un projet ou un dossier, qui te tient particulièrement à coeur ?
La priorité pour l’instant, c’est l’élection présidentielle : j’entends la montée du FN et l’UEJF essaie d’amener la communauté juive, d’abords les étudiants, mais au delà aussi, à une mobilisation forte contre le Front national et contre l’extrême droite. Il y a 3 ans, nous avons créé des « comités de vigilance contre le FN » dont l’un des objectifs est de montrer le vrai visage local de ce dernier, que ce parti au pouvoir dans certaines villes représente un danger pour la démocratie, pour la république, qu’il est autoritaire et ne respecte pas les libertés, que ce sont de mauvais gestionnaires et qu’il stigmatise. Il y a quelques semaines, à Lyon, nous avons organisé une conférence de presse de ces comités à Lyon, en marge des assises de Marine Le Pen. Nous avons tracté contre le FN, et dans une vidéo, devenue virale, on peut voir clairement que des étudiants juifs ne pouvaient pas être au même endroit que des militants du FN. On peut parler des valeurs juives qui s’opposent au FN, à l’extrême droite, de versets de la bible qui mentionnent l’accueil de l’étranger, l’historique antisémite du FN, mais ce qu’on a vu ce week end là, c’est un antisémitisme viscéral, porté par les militants et que le fait de rencontrer des étudiants juifs, non pas par idéologie, non pas parce qu’ils ne sont pas d’accord avec un positionnement politique mais bien parce qu’ils sont juifs, cela leur pose un gros problème. Nous voulions le montrer à une certaine partie de la communauté tentée par le FN. Il n’a pas changé.
Est-ce que certains ont tendance à l’oublier ?
Je pense que oui, et que des digues sont en train de tomber, en tous cas le FN essaie de les faire tomber : comme ce déplacement en Israël, ces rencontres avec Nicolas Bay, ces tentatives d’approches des responsables du gouvernement israélien, cet obscur groupe organisant une rencontre entre Louis Aliot et Gilbert Collard, etc. En tous cas, il est des personnes qui se font les passerelles entre le FN et la communauté juive. Il est alors important que les organisation de la communauté juives tiennent des positions fortes et rappellent nos valeurs, mais je pense qu’il est aussi important d’être sur le terrain et de montrer que, dans le réel, le FN n’est pas compatible avec ce que nous défendons, avec ce que nous sommes. Le simple fait de rencontrer des étudiants juifs, c’est déjà un problème pour eux. Le simple fait d’échanger avec des étudiants juifs, c’est quelque chose qui provoque chez eux un déferlement de haine et qui les pousse à tenir des propos négationnistes, complotistes, en expliquant, par exemple, que les français juifs ne sont pas complètement français, qu’ils sont tenus par une triple nationalité, etc. Par ailleurs, sur le terrain, on se rend bien compte que dans les villes où le FN est au pouvoir, il fait régner un climat délétère. Le fait que le FN soit un parti de l’exclusion, prônant la fermeture, le repli sur soi, un entre-soi purificateur garantissant une certaine sainteté du “peuple français” que marine le pen prétend défendre, tout cela est profondément incompatible avec les valeurs juives. Nos valeurs juives, c’est l’ouverture, l’accueil de l’étranger : “Tu respecteras l’étranger parce que tu as été toi-même étranger en Egypte”, qui est l’un des versets les plus répétés dans la bible, preuve de son importance. Et puis ce sont aussi les valeurs républicaines qui sont menacées par ce que prévoit le FN. Chacune de ces valeurs républicaines sont dévoyées par le FN : 1-La liberté, elle n’est pas exactement la même dans les ville dans lesquelles le FN est au pouvoir 2-Les opposants politiques y sont traînés en justice avec les fonds publics. 3-L’égalité, elle n’est pas la même non plus, parce que ce parti stigmatise certaines catégories de la population. Tout cela en dit long sur l’égalité et le respect de la fraternité, 4- La laïcité, on voit bien qu’il y a une duplicité et une instrumentalisation de cette dernière dans le discours du FN.
Si Marine Le Pen parvenait à gagner l’élection, et devenait Présidente de la République, que ferait l’UEJF ?
L’UEJF est historiquement une association de résistants, née dans le maquis toulousain en 1944, alors, je ne pense pas qu’on prendra cette fois le maquis à Toulouse, mais en tous cas, on entrera en résistance. On s’opposera de toutes nos forces aux différentes mesures dangereuses qui seraient prises par elle. Mais d’ici là, on garde l’espoir qu’il y a ait un sursaut républicain et que le FN ne passe pas. En tous cas, on continuera d’affirmer nos valeurs, y compris face à un gouvernement d’extrême droite.
Certains tentent d’expliquer aussi que, comme pour Donald Trump, il faut lui donner sa chance et qu’elle n’appliquera pas le programme de son parti..
On a bien vu que les propos racistes, homophobes, misogynes, antisémites lors de campagne, tenus par Trump, ont libéré aux USA une parole violente, avant même son élection. Les actes racistes, et antisémites et homophobes ont augmenté aux USA. Et lorsque qu’un candidat tient ce genre de propos cela autorise la population à passer des passages à l’acte violents. Par ailleurs depuis son élection, Donald Trump a malheureusement appliqué nombre de mesures qu’il avait promises lors de sa campagne. On voit bien aussi que les organisations juives américaines se sont mobilisées face à Trump, elles ne sont pas dupes de son discours, elles ne se laissent pas aveugler par ses grands effets de manche sur les implantations en Israël ou sur le déplacement de l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem. Elle voient bien que derrière Trump et son entourage, les mesures concrètes qui sont prises menacent l’ensemble des couches de la société. Je pense qu’il y a beaucoup de pédagogie à faire en France pour expliquer à quel point on devrait s’inspirer justement de ce qui est fait aux USA. Alors que Marine Le pen appliquent ou non les propositions de son parti, je n’ai pas envie de tester. Non. Nous ne prendrons pas ce risque. Sinon quoi ? Un “débat” sur la peine de mort ? La sortie de l’euro ? L’interdiction de l’avortement, de la kippa dans l’espace public ? Tout cela est contraire aux valeurs républicaines, c’est contraire à toutes les avancées qu’il y a eu en France sur les droits de l’homme ces 40-50 dernières années.
Dans l’affaire Mehdi Meklat, liée à la question de la haine sur internet, l’UEJF a vivement réagi mais a aussi interpellé Twitter quand à sa responsabilité de diffuseur de contenu. Avez-vous eu une réponse du réseau social ?
C’est un sujet effectivement que l’UEJF porte depuis plusieurs années; qui a éclaté au moment de l’affaire du hastag “#Unbonjuif”. Mes prédécesseurs ont travaillé le sujet, organisé des testings, des assises. Dans cette affaire, on se rend bien compte que pendant 5 ans, des messages haineux ont été postés de façon répétée, avec une graduation dans la violence sans que twitter ne daigne supprimer ces contenus pourtant signalés à plusieurs reprises par moults utilisateurs. Twitter n’a pas réagi mais twitter ne réagit pas, depuis des années. Alors, cette affaire Mehdi Meklat révèle aussi autre chose : dans notre société, le fait que ces personnes-là aient été érigées comme les porte-voix d’une génération qui avait vécu les émeutes de 2005, qu’ils soient devenus les chantres de la tolérance et du vivre ensemble et que finalement, ces mêmes personnes utilisaient leur notoriété tantôt pour pointer les dérives de la société et tantôt l’anonymat, pour propager la haine sur les réseaux sociaux. Il y a une duplicité dans leur discours. On ne peut pas tout excuser sous prétexte de littérature. C’est pervers. Au même titre que Dieudonné faisant monter Faurisson sur scène en expliquant que c’est de l’humour. Tout le monde est soumis à la loi française, et twitter, normalement, devrait l’être aussi. Les assises de la haine sur internet sont aussi l’occasion d’interpeller les candidats à la présidentielle sur le sujet. La question du racisme et de l’antisémitisme, ont été d’ailleurs trop peu présentes dans la campagne. La haine sur internet n’aura pas été pas un sujet, alors que c’est l’un des vecteurs principaux pour répandre la haine, pour banaliser la parole antisémite et raciste. Dès lors que la parole est banalisée, cela autorise tous les passages à l’acte. On espère que le prochain Président français s’arrêtera sur le sujet et mettra la pression sur les plateformes afin qu’elles respectent enfin le droit et sensibilise aussi les différents acteurs européens à cela.
Quelle serait l’une de vos autres actualités ?
Une thématique que l’on travaille beaucoup est celle la laïcité dans les universités. C’est un problème compliqué. Dans cette période de crispation autour des notions et des concepts républicains, nous sommes confrontés pour la première fois depuis des années à une vague d’étudiants qui nous contactent parce que des professeurs ou des responsables administratifs leur expliquent qu’il est impossible pour eux d’être absents le jour de Kippour. Par exemple. Un refus donc de la part de certains responsables d’universités de respecter la circulaire de l’éducation nationale permettant aux étudiants juifs, catholiques, musulmans, bouddhistes, d’avoir une tolérance en cas d’absence le jour de fêtes religieuses. Ce qui est pourtant légal et républicain. Pourtant, nous ne demandons absolument pas plus que l’application de la circulaire. Cela pose également d’autres problèmes : le fait que des lycéens juifs n’arrivent pas à se projeter dans les universités, s’ils sont religieux ou pratiquants ou beaucoup moins, comme pour Kippour, qui concerne énormément de juifs. Certains ont même eu droit à des réponses type: “si vous n’êtes pas satisfaits, vous n’avez qu’à ne pas choisir ce groupe religieux”. Il y a donc tout un travail de pédagogie à mener et que l’on mène en ce moment auprès des universités sur deux problèmes : certains lycéens n’arrivent pas à se projeter à l’université parce qu’ils en sont à penser que s’ils sont religieux, s’ils sont pratiquants, ils ne pourront pas étudier et être juif en même temps. Ce qui provoque des Aliyahs ou des départs vers d’autres pays pour ces futurs étudiants, qui pensent qu’ils n’ont pas leur place en France, dans les universités françaises. Cela provoque le développement de l’enseignement supérieur juif et pose la question du vivre ensemble, de l’apprentissage républicain, de l’émancipation intellectuelle. Il s’agit souvent d’un choix par défaut en réalité pour un nombre suffisamment important d’étudiant. C’est un travail que l’on mène sur le fond. Certains universitaires craignent que si un groupe demande, les musulmans, demain, demandent à leur tour de nouvelles circulaires, de nouvelles mesures. Si l’on travaille là-dessus, c’est pour donner l’espoir à tous les Juifs de France qu’ils ont bien un avenir en France. S’il y a bien une chose aussi que j’ai envie de faire pendant mandat : arriver à convaincre qu’il y a bien un avenir en France.
Propos recueillis par Aline Le Bail-Kremer
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