Une nouvelle voix israélienne fait une percée en cette rentrée : Ronit Matalon. Dénichée par les éditions Stock, elle imagine un huis clos familial. Chaque membre a du mal à trouver sa place, que ce soit dans la vie ou en terre d’Israël. Étonnant !
« Nul ne peut lutter contre son destin. » Alors pourquoi la plupart des êtres se dépêtrent-ils pour en modifier la trajectoire ? Ronit Matalon, elle-même, a emprunté plusieurs chemins. Née en Israël, en 1959, elle grandit au sein d’une famille venue d’Égypte, à la fin des années ‘40. L’auteure avoue s’être souvent sentie marginale pendant son enfance. « J’avais honte de ma grand-mère qui parlait l’arabe. » Un sentiment d’illégitimité partagé par de nombreux Séfarades, venus s’installer en Israël. La génération parentale a ainsi tendance à se réfugier dans la nostalgie. « Celle-ci comprend des moments sucrés, mais aussi des difficultés… Le passé est fluctuant, il reflète forcément ce qu’on ressent aujourd’hui. » Aussi la petite fille préfère-t-elle se réfugier dans les livres. « On peut avoir la vie sauve grâce à la littérature. Tant la lecture que l’écriture me procurent un immense sentiment de liberté. » Elles orientent ses études littéraires, une carrière de reporter à Haaretz ou d’enseignante en lettres à l’université de Haïfa. Un parcours exemplaire qui ne peut que titiller sa plume romanesque.
Marelle de maux
Pour pouvoir bifurquer, il faut parfois retourner aux origines. Ronit Matalon se penche sur cette question en scrutant ces personnages dans leur terrarium familial. Ils évoluent comme les prisonniers d’une toile d’araignée. Leur cadre ? Une baraque dans un quartier insalubre d’Israël. Les projets de vie y sont limités, tant on est concentré sur les soucis du quotidien. Les adultes semblent évoluer en ne prêtant pas toujours attention aux petits. « Nous étions trois : mon grand frère, ma grande sœur et moi, « el bint », l’enfant, la fille, éternelle troisième personne du singulier. » Toute l’histoire est d’ailleurs contée à travers le regard de celle qui n’a pas de prénom, l’enfant. Elle est intégrée et pourtant étrangère à ce décor, régi par deux femmes, sa mère et sa grand-mère Nona. L’amour et l’angoisse encombrent leurs frêles épaules, au point de ne pas toujours pouvoir s’exprimer. La mère trime chez un rabbin qui ne peut pas avoir d’enfant, mais elle refuse de lui confier les siens. « L’écrivain renferme tous les âges de la vie », aussi Matalon réussit-elle à trouver le ton juste de cette petite fille. Tantôt bercée par la douceur, tantôt confrontée à la cruauté, elle aime retrouver son père qui a quitté le foyer. Maurice est un idéaliste, frustré par la politique israélienne et l’accueil des juifs orientaux. Son discours est empli de pathos et confère à l’enfant « la possibilité de mon étrangeté ». Cet autodidacte lui « transmet néanmoins l’idée de se façonner, quitte à s’oublier ou à se rêver. » La puissance du livre se situe non seulement dans le rendu de la suffocation familiale, mais également dans une langue lyrique et inventive. Chaque chapitre s’enchaîne par le mot qui clôt le précédent, une narration inhabituelle qui se veut plus parcellaire que linéaire. Ronit Matalon a cependant écrit ce puzzle d’une traite « pour aller vers l’inconnu d’une logique interne. » À l’image de la mémoire qui lui est chère… « Ce roman me donne l’impression de veiller sur l’enfance. »
Ronit Matalon, Le bruit de nos pas, éditions Stock, 22,90 €.