Bien entendu, je ne vous apprendrai rien en vous disant que Johnny Hallyday nous a quittés. Son vertigineux parcours de gamin des rues, de « working class hero », héros prolétaire au sens Lennon du terme, icône nationale unanimement pleurée par un million de Français sur les Champs-Élysées, et par tous les autres derrière leur écran, laissera de nombreux souvenirs qui ne seront pas entachés par ceux qui méprisent la dite « culture populaire ».
Sa Harley Davidson sans pilote, comme un mustang désormais sans son cavalier a pour écho cette parade de motos made in USA vrombissantes, descendant « la plus belle avenue du monde », ces « loubards », ces « blousons noirs » auxquels Johnny a su donner tant de lettres de noblesse. Comme ce rock and roll qu’il a su populariser dans tous les foyers de France y compris la plus profonde.
À sa manière, et malgré son pseudo, Jean-Philippe Smet était sans doute plus yankee que la plupart des yankees, amoureux éternel, mais hélas transi, de cette Amérique qui lui a tout inspiré. Celle des GI’s et du bubble gum, du rock et de la fureur de vivre, des grands espaces et de la conquête spatiale, celle de James Dean, Elvis, Marlon Brando et de Buddy Holly. Celle de la fameuse « poursuite du bonheur », ce rêve américain si bien filmé par Elia Kazan. Tout en Johnny se voulait yankee. Son pseudo, bien entendu, ses costumes de scène, son attitude rebelle.
Avec son tout premier grand tube en 1962 , « L’idole des jeunes », adaptation du « Teenage Idol » de Ricky Nelson, Hallyday se tourne vers l’Amérique avec les yeux de Chimène pour le Cid. Hélas, cette dernière ne lui rendra jamais, car, malgré tous ses efforts, le poids de ses 60 années de carrière, de ses 50 albums publiés, ses tournées triomphales, jamais notre Johnny Frenchie ne parviendra à s’imposer aux USA, à l’instar d’un Aznavour ou même d’un Maurice Chevalier. J’en discutais souvent avec une autre légende française, Serge Gainsbourg, qui était lui aussi frustré par cette absence de reconnaissance hors de la francophonie et en particulier en Amérique. Je n’avais jamais vu Serge aussi fier que, lorsque de retour d’un reportage à LA, en 1989, je lui avais raconté que j’avais vu une pile de son « intégrale » « De Gainsbourg à Gainsbarre » en vente au fameux Tower Records sur Sunset Boulevard. Son sourire s’était soudain illuminé comme jamais.
Johnny aura tout tenté pour séduire l’Amérique de son vivant, tout ce qu’on peut lui souhaiter c’est d’y parvenir dans l’au-delà. Car les images aussi émouvantes que spectaculaires de ses funérailles nationales ont forcément déjà fait le tour de notre planète. Cependant, il faut admettre que le « cas » Johnny provoque de nombreuses interrogations à l’étranger. Un artiste israélien m’a envoyé un mail pour me dire qu’il ne comprenait pas notre engouement pour celui qu’il qualifie avec une pointe de dédain d’« Elvis Français ». Il faut admettre, vu de l’étranger, cet enterrement aux proportions inédites a de quoi surprendre.
Mais il faut expliquer à cet artiste israélien, comme aux autres, que Johnny n’a pas volé sa cérémonie. Cette véritable communion laïque dépassait tous les clivages, politiques, sociaux, géographiques, culturels. Trans-générationnelle et trans-sociologique, la cérémonie d’hommages était fidèle à l’idéal rock du chanteur. Et l’émotion rock en était justement le fil rouge avec tant de symboles. Cette scène devant la Madeleine, où jouait ce groupe sans chanteur, car il ne viendra plus jamais. Ce public qui le remplace en chœur. Ces parties de guitares acoustiques dans la solennité de l’église, interprétées face à la France institutionnelle, aux copains de la musique, du ciné et de la culture et aux aficionados du public de ses concerts. Incroyable et touchante unité, bravo l’artiste !
Nul besoin d’aimer les chansons de Johnny pour se laisser séduire, tant elles ont su se fondre dans le paysage de nos existences. C’est sans doute là un des ressorts de cette ferveur pour le chanteur, car en perdant Johnny, c’est aussi une partie d’elles-mêmes qui s’en va. J’avoue, GBD le critique musical depuis 40 ans, n’a jamais particulièrement apprécié les chansons de Johnny, à une ou deux exceptions près. Ce qui ne l’a jamais empêché d’apprécier l’homme.
En 2005, sur un tournage réunissant Pascal Legitimus, Mathilda May et Johnny Hallyday, j’avais interviewé Johnny le comédien. Il était terriblement touchant. Je conserve le souvenir d’un garçon simple et adorable, un peu triste, et tellement désabusé. Nombre de musiciens amis ont toujours tracé le portrait le plus élogieux du chanteur. Que cela soit le saxe Philippe Herpin ou le guitariste Nono Krief (voir Arche 668), comme mon pote bluesman Paul Personne, tous évoquent un Johnny profondément humain et généreux, à des années-lumière de l’ego habituel du monde du showbiz.
Manifestement, Johnny Hallyday se situait bien au-dessus de la mêlée, sa disparition à seulement 74 ans aura métamorphosé le saltimbanque en nouveau héros du roman national, dont on chante unanimement les louanges et c’est sans doute là son plus grand « tube ».