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Israël

Iran : Israël et les Etats-Unis à l’heure des discordes

Sur le dossier iranien, les positions de Barack Obama et Benyamin Netanyahou semblent difficilement conciliables. François Heisbourg, président de l’Institut International d’Etudes Stratégiques et conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique nous livre son analyse de la situation.

L’Arche : Israël souhaite qu’une « ligne rouge » soit déterminée dans le dossier iranien, au-delà de laquelle une attaque soit immédiatement déclenchée. Les Etats-Unis de leur côté ne le souhaitent pas. Peut-on parler de crise ouverte entre l’Etat juif et l’Amérique ?

François Heisbourg : Je crois que la crise a tendance à se calmer, justement, entre les Etats-Unis et Israël. Ceux qui voulaient frapper sans attendre les élections américaines, ou qui voulaient donner cette impression, se sont heurtés à de très vives oppositions en Israël même, avec un débat qui a été d’une certaine manière clos par l’intervention du président Shimon Pérès, hostile à une opération conduite dans des circonstances qui pourraient compromettre la relation stratégique entre les deux pays. Le Premier ministre Israélien, de son côté, s’est exprimé dimanche dernier sur une chaîne de télévision américaine. Il a tenu un langage d’allure extrêmement martiale et va-t-en-guerre, mais d’où il ressortait fondamentalement que tout cela pouvait attendre la mi-2013. Il a laissé entendre qu’il n’avait pas l’intention de frapper avant les élections américaines. Bien entendu, nous ne savons pas si tel sera le cas ou non, je pense que dans cette affaire il ne faut jamais oublier que la prise de décision demeurera couverte par le secret, mais pour le moment on est plutôt dans une phase d’apparent apaisement.

Obama a tout de même récemment refusé de s’entretenir avec Netanyahou, officiellement pour des raisons d’emploi du temps. N’est-ce pas un réel signe de tension malgré tout ?

Cela reste tendu. Netanyahou fait la campagne de Mitt Romney. C’est assez peu courant de voir le Premier ministre d’un pays ami faire ouvertement la campagne de votre adversaire politique… Cela ressemble un petit peu aux Soviétiques qui faisaient la campagne de Giscard entre les deux tours des présidentielles en 1981 ! Cela surprend. Il faut aussi garder à l’esprit que du côté de Romney les relations ne sont peut-être pas aussi simples que semble vouloir le croire M. Netanyahou.

Vous voulez dire que Mitt Romney, s’il est élu, aura un discours moins pro-Israélien que celui qu’il tient aujourd’hui ?

Je pense que M. Romney et ceux qui lui sont proches seraient ravis que M. Netanyahou frappe avant les élections afin de déstabiliser la campagne du président Obama. Mais à ma connaissance, il n’y a eu aucune promesse de M. Romney envers Netanyahou sur l’Iran. Il ne s’est pas engagé à faire le travail avec lui quand il sera élu, si cela se produit. Romney donne plutôt l’impression de pousser le gouvernement Israélien à agir avant les élections, et pour l’aiguillonner dans ce sens, il le prive de toutes garanties d’opération américaine après le scrutin puisqu’une telle garantie ne pourrait que retenir Netanyahou ! Autrement dit, le Premier ministre Israélien donne l’impression, après avoir essayé d’instrumentaliser la campagne électorale américaine, de se faire à son tour instrumentaliser par elle. Ce n’est pas formidable.

En attendant, Obama semble refuser toute « ligne rouge ». Comment analyser ce refus ? Est-il susceptible d’évoluer ?

Ce que je note, c’est qu’il n’est plus question de l’ancienne ligne rouge américaine, que l’on a tendance à oublier. On n’en parle plus, et c’est plutôt encourageant pour Israël. L’ancienne ligne rouge américaine, c’était de ne pas frapper tant que l’Iran ne serait pas sur le point de militariser de l’uranium hautement enrichi. Les Américains disaient ne pas vouloir bouger avant cela. Cette ligne rouge-là était évidemment très différente de la ligne rouge Israélienne, et je pense que les Américains ont eu tort de l’énoncer. Mais aujourd’hui elle semble avoir disparu, il n’en est plus vraiment question. Et compte tenu de la volonté qui ne paraît pas fléchir du côté iranien d’aller au plus près de l’arme nucléaire, je pense que l’on est plutôt sur une lancée où le Président Obama, s’il devait être réélu, convergerait avec les Israéliens dans le courant de 2013. Je pense qu’on est plutôt dans cette trajectoire-là.

Beaucoup déconseillent à Israël d’intervenir seul, sans les Etats-Unis. Vous comprenez ces inquiétudes ?

Oui, parce qu’il est vrai que les cibles sont relativement nombreuses, l’Iran relativement loin, le profil de mission complexe. Je ne doute pas qu’Israël soit capable de réaliser une opération qui retarderait, en cas de réussite, le programme nucléaire iranien d’un, deux ou même trois ans, mais il vaudrait quand même mieux que l’opération se fasse avec un soutien américain, ou une participation américaine. Mais à l’inverse, je préfèrerais que ce soit les Israéliens qui prennent les devants, plutôt que les Américains, pour une raison assez simple. Les Israéliens savent conduire des opérations coup de poing relativement brèves dans la durée, alors que les Américains, fondamentalement, savent surtout faire de longues campagnes militaires où tout est écrasé sous les bombes… Ce qui est politiquement et stratégiquement un jeu rarement très payant. Je préfèrerais que cette affaire soit réglée dans la façon israélienne de faire la guerre, plutôt que dans la façon américaine. Mais les moyens américains sont plus qu’utiles et sont probablement nécessaires.

Le Premier ministre israélien affirme justement que l’Iran sera très proche d’avoir la bombe à mi-2013. Les sanctions sont-elles efficaces ou faut-il aller plus loin ?

Cela dépend comment on mesure l’efficacité. Si l’on se demande si les sanctions sont respectées, si l’économie iranienne est par terre, s’ils n’arrivent plus à exporter leur pétrole, la réponse est oui, les sanctions marchent formidablement bien. Les exportations de pétrole iranien ont été pratiquement divisées par deux, l’économie est dans un état épouvantable, l’inflation fait rage, dans ce sens-là les sanctions marchent. Mais ont-elles convaincu les Iraniens de négocier de bonne foi dans le domaine nucléaire ? La réponse est non. Ont-elles convaincu les Iraniens de ralentir ou d’arrêter leur programme nucléaire ? La réponse est toujours non, dans ce sens-là les sanctions ne sont pas en train de produire l’effet escompté. C’est pour cela effectivement que je ne serais pas surpris que la convergence entre Israël et les Etats-Unis se fasse après les élections.