Interview exclusive pour le magazine, sorti le 3 octobre.
Trente ans après la mort de Pierre Mendès France, le Président de la République rend hommage à l’ancien Président du Conseil, s’exprime sur son parcours, ses combats, sa lutte contre l’antisémitisme et revient sur les retombées de l’attentat de Toulouse.
On a vu François Mitterrand embrasser Pierre Mendès France en 1981, et des larmes couler sous les yeux de l’ancien Président du Conseil. Trente ans après sa mort, estimez-vous que la figure de PMF a toujours une place dans la vie politique française ?
Oui. Pierre Mendès France demeure une référence morale et politique, celle d’un homme d’Etat ayant toujours refusé la facilité, les arrangements et les calculs. Cette intransigeance lui a coûté cher. Pierre Mendès France incarne une certaine idée de la droiture, de la sagesse, en même temps qu’un sens extraordinaire de l’intérêt général. Il a été un homme de paix, en mettant fin dans l’honneur à la guerre d’Indochine, et en permettant l’émancipation pacifique du Maroc et de la Tunisie. La figure de Mendès échappe au temps : les années passent et l’auteur de La République moderne reste toujours aussi neuf… au sens où jamais l’exigence de la vérité ne vieillit.
La période que nous vivons est différente et les problèmes auxquels notre pays doit faire face ne sont pas les mêmes. L’exemple de PMF continue-t-il à vous inspirer dans votre action ?
Il offre un exemple de ce que doit être la gauche de gouvernement : celle qui ne renonce ni à être de gauche ni à gouverner. Son message, vaut plus que jamais aujourd’hui: la compétitivité économique sans la justice sociale est impensable ; la justice sociale sans la compétitivité économique est impossible.
Vous lui rendez hommage dans une préface à un livre qui vient de paraître sous le titre L’honneur en politique (Régis Palanque), en parlant d’un « chemin aride entre un volontarisme courageux et un pragmatisme nécessaire ». Aujourd’hui, est-ce également votre chemin ?
Oui. Gouverner un pays, c’est avoir un grand projet pour ses concitoyens. Mais ce dessein ne se réalise que si l’on se donne les moyens politiques, économiques, budgétaires, de le traduire dans la réalité. Aujourd’hui, le chemin que je trace est celui du redressement productif et financier. Non pour les efforts qu’il réclame mais parce qu’il est la condition de vivre mieux ensemble.
Qu’a-t-il manqué à Pierre Mendès France?
Deux choses. Le temps pour agir : il est resté sept mois à la tête du gouvernement ; c’est bien peu à l’échelle du siècle. Et la souplesse d’esprit qu’il aurait appelée compromission, et qui lui aurait permis, en acceptant la cinquième République, d’en marquer l’histoire comme un acteur et non pas seulement comme un témoin critique.
Ce qui ne lui a jamais manqué, en revanche, c’est l’intuition, la sûreté de jugement, le courage, le sens de l’honneur. Et, il ne s’est pas trompé en juin 1940. Il a tenu sa ligne au lendemain de la guerre pour éradiquer l’inflation. Il a démissionné du Gouvernement de Guy Mollet quand il se fourvoyait en Algérie. Il a admiré de Gaulle sans le suivre en 1958. Il a contribué à la rénovation du Socialisme. Je n’oublie pas qu’il a pris sa part à la victoire de François Mitterrand en 1981.
Le combat contre l’antisémitisme a constitué une part importante du parcours de PMF. Il y avait consacré une grande partie de sa vie. L’antisémitisme, on s’en aperçoit, continue de préoccuper les juifs de France après l’attentat de Toulouse. Cette inquiétude vous paraît-elle justifiée ?
La tuerie de Toulouse a marqué la France tout entière. Cet abject massacre d’enfants a frappé notre pays d’effroi. Comment ne pas comprendre qu’après une telle tragédie, les juifs de France soient inquiets et exigent protection et respect. Mon devoir est d’y répondre. Avec la fermeté dont est capable la République.
Je l’ai dit en juillet dernier, sur les lieux du crime du Vel d’Hiv : la conscience de l’histoire rend particulièrement insupportable l’antisémitisme, sous toutes ses formes. S’en prendre, sur notre territoire, à un juif parce qu’il est juif, c’est s’attaquer à la République toute entière.
Nous serons intraitables dans la lutte contre la haine antisémite, contre les actes ou les propos qui pourraient amener les juifs de France à se sentir isolés à l’intérieur de leur propre pays. Leur sécurité ce n’est pas l’affaire des juifs, c’est l’affaire de la France.