La ville est devenue, grâce au roman Le jardin des Finzi Contini, le symbole du destin des juifs en Italie.
Jusqu’à il y a une dizaine d’années, il n’existait pas en Italie un musée d’État du judaïsme italien. Et cela nonobstant le fait que la présence juive, constante et persistante dans le pays, remonte à plus de vingt-deux siècles. Existaient des petits musées privés, appartenant aux différentes communautés juives et contenant d’importants stocks de livres et d’objets juifs cachés dans des entrepôts. Vittorio Sgarbi, important et influent expert d’art et Alain Elkan, fils de père français et mère italienne et écrivain à succès, ont proposé d’ériger à Ferrare un monument pour remémorer les persécutions dites raciales (« dites » puisque la race n’existe pas, il n’existe que le racisme).
Pourquoi Ferrare ? Petit microcosme, peu à peu, la ville est devenue, grâce au roman Le jardin des Finzi Contini, le symbole du destin des juifs en Italie, en particulier pendant la période fasciste. Le podestat (maire) de Ferrare, avant l’année fatidique de 1938, était juif.
En un deuxième temps, Sgarbi et Elkan ont imaginé un musée et le lieu choisi était celui d’une énorme prison abandonnée qui, pendant la guerre, avait accueilli, pour ainsi dire, beaucoup d’antifascistes parmi lesquels le célèbre écrivain Giorgio Bassani.
Il y a dix ans, j’ai été nommé responsable du musée, un musée qui aurait dû accueillir les pièces d’exposition après sa restauration. Entre-temps nous avons organisé un Salon du livre juif qui a eu un grand succès aussi bien que des conférences sur l’Histoire des juifs italiens.
Combien de juifs y a-t-il aujourd’hui en Italie ? On estime leur nombre aujourd’hui à vingt-deux mille. Et il est légitime de se demander pour quelle raison il est si important d’avoir un musée d’État sur les juifs en Italie et sur la Shoah ?
La mémoire est labile et les citoyens italiens doivent connaître ce qui s’est passé lorsque Mussolini a transformé quelques dizaines des milliers de citoyens en possibles boucs émissaires.
Aujourd’hui, après quelques années, une partie du musée a été restaurée et la première exposition sur les origines de la présence juive dans notre pays, organisée avec des matériaux empruntés, a ouvert ses portes au public.
Il y a quelque temps, j’ai abandonné la présidence du musée et, à l’horizon, je perçois clairement certains problèmes. D’abord le financement de l’État. Il était suffisant pendant la période de transition. Toutefois, lorsque le bâtiment sera fini et avec l’augmentation des dépenses, il s’avérera insuffisant.
Il existe, selon moi, une seule façon de résoudre le problème. Il faut expliquer au gouvernement que les juifs italiens n’ont jamais perçu des indemnités pour ce qu’ils ont souffert et pour les énormes dommages qu’ils ont subis, et aussi que ce musée n’est pas destiné aux seuls juifs. C’est un musée destiné à l’ensemble du pays, pour que les gens puissent connaître une réalité jusque-là méconnue, de vingt-deux siècles d’histoire tourmentée.
Au-delà du problème du financement, il existe une question qui concerne le projet muséal en lui-même.
À Paris, le musée juif est très riche parce qu’il a pu bénéficier des célèbres collections. Nous n’avons pas une situation similaire, et pour remplir un musée, il faut soit de gros financements qui nous manquent soit des collections privées, qui manquent aussi. Et qui plus est, un musée a un sens s’il est accompagné d’une activité culturelle animée, il ne peut exister par la seule exposition froide d’objets. Vous l’avez compris : nous nous trouvons au milieu du fleuve et nous ne savons pas si nous arriverons à l’autre rive. Malheureusement, dans notre pays prévaut la contingence et l’improvisation, et il est difficile de réaliser les choses. Maintenant, le ministre Dario Franceschini ne sera probablement plus responsable du ministère de la Culture et je ne m’attends à rien de bon, compte tenu de l’actuelle situation politique.
Il faut avoir confiance et espérer qu’on finira la seconde et énorme partie des travaux, et que le musée ne restera pas une oeuvre inachevée.
Traduction par Marta Teitelbaum.
Riccardo Calimani est historien et essayiste, spécialiste des synagogues du ghetto de Venise et ancien président du musée de Ferrare.