Nous connaissions la passion pour la généalogie de Pierre Mendès France. Mais jamais nous n’avions mesuré, jusqu’à la réalisation de ce dossier, combien cette passion avait été au centre de sa vie. Combien il s’y est investi tout entier à travers des recherches dans les archives, des correspondances suivies et des voyages incessants. Grâce à Michel et Joan Mendès France, nous avons pu accéder à ces documents et nous avons découvert des choses étonnantes. J’ai été fasciné pour ma part par la lecture de certains procès de l’Inquisition. On y trouve toute la cruauté de l’époque, enrobée dans un langage de la compassion. C’est surprenant et terrible à lire (après cela, allez revoir telle émission de télévision récente, diffusée avant l’été, où on plaidait pour la canonisation d’Isabelle la catholique ! Les bras vous en tombent !) Et puis on découvrira, à la lecture de ce dossier, que cette « marotte » chez lui correspondait à une passion des origines, une quête de l’identité. Le fil qui court à travers ces générations qui se succèdent, c’est la recherche éperdue d’une identité juive qui se perd, qui se cache, qui s’oublie, qui se retrouve à travers les épreuves de l’histoire. Apparaîtra, je crois, à travers tous ces textes que nous proposons, une image de Mendès France peu connue.
C’est un travail considérable qu’a réalisé François Azouvi et dont il s’entretient, dans ces colonnes, avec Alain Finkielkraut. Immense ouvrage qui revisite un mythe sur lequel tout le monde semblait s’accorder, « le mythe du grand silence ». Il y a eu, il y aurait eu, au lendemain de la guerre, un désir d’oublier, une fuite en avant, un extraordinaire besoin de parler d’autre chose, d’échapper à la prise de conscience, de refouler le traumatisme.
Eh bien, non. La lecture du livre d’Azouvi remet les choses en place. Il y a eu, très tôt, chez les juifs et les non-juifs, chez les intellectuels, les écrivains, les historiens, les philosophes, les hommes d’Eglise, une secousse située à des profondeurs qu’on ne soupçonne pas. L’auteur a travaillé sur la presse de l’époque. Il a parcouru tout ce segment d’histoire, a lu tout ce qu’on a écrit, et il met à jour les pièces du dossier. L’impact de l’action d’un Jules Isaac. L’épisode de l’Exodus. Les premiers témoignages concentrationnaires. L’œuvre d’un Léon Poliakov. La découverte de la résistance juive… Très tôt, on a pris conscience que la persécution des juifs n’était pas, comme cela a été dit à Nuremberg, « un crime juxtaposé à d’autres crimes ». En tout cas, pas d’occultation, de refoulement, d’enfouissement de la mémoire, comme on l’a dit ou comme on s’est plu à le penser. Mais un progrès du savoir et de la conscience qui ont eux-mêmes requis du temps.
Nous sommes plus d’un an après ce qu’on a appelé le « printemps arabe » et auquel il faudra désormais se résigner à associer une autre saison. Personne n’aurait pu imaginer le déclenchement de violence, le 11 septembre dernier. L’assassinat d’un jeune ambassadeur américain en Libye, les attaques contre les ambassades occidentales dans les capitales arabes, les cris de haine des manifestants. Tout cela sur une toile de fond improvisée : un film amateur, totalement artisanal et manifestement fabriqué de toutes pièces, dont des extraits ont été diffusés sur Internet depuis déjà des mois mais dont des copies, avec traduction en arabe, ont été postées opportunément le jour même du 11 septembre. Provocation ? Manipulation ? Ça y ressemble beaucoup.
L’homme qui a signé et posté ces images à été présenté dans un premier temps comme un agent immobilier israélo-américain, avant qu’Associated Press, puis l’Afp, ne révèlent que le film anti-islam qui a enflammé le monde arabe a été tourné à Los Angeles par un copte égyptien repris de justice avec l’aide d’un réalisateur de films pornographiques. Le directeur du New Yorker se plaignait récemment de ce que le « Fact-checking » (l’enquête sur les faits), dont sa revue s’honore, soit devenu un exercice de plus en plus difficile en un temps où une information faisant état de la découverte d’alligators dans le métro de New York trouverait 500 sites pour la confirmer et la relayer. Ainsi va le monde d’Internet. Rien ne dément rien. Rien ne se substitue à rien. Tout se rajoute. Tout se recycle. Tout se superpose dans une ronde infernale. Le fil qui court est le même et les techniques n’ont rien changé aux habitudes. Les juifs ont bon dos. On les désigne du doigt. La toile s’enflamme. Et le temps de s’apercevoir qu’il y a eu maldonne, le mal est fait. Les images tournent. Vive la presse écrite, et bonne et heureuse année 5773 à nos lecteurs !