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Arts

Mathilda May n’a pas peur du vide

Mathilda May est un personnage à part dans le cinéma français. Multicarte, elle s’est construite patiemment, parfois envers et contre tous, une carrière différente. Comédienne, actrice, metteur en scène, son parcours atypique est bien loin du cliché de la jolie brune de ses débuts. Rencontre.

L’Arche : Dans l’une de vos dernières interviews, vous dites : L’ « Je milite pour l’acceptation des vertus du vide. » La France a connu le confinement. Comment l’avez-vous vécu ?

Mathilda May : Je crois que nous ne sommes pas égaux face à ce vide. Nos sociétés nous encouragent à le combler par la consommation ou par l’idée que nous devons perpétuellement le remplir. J’ai cette chance d’avoir toujours eu besoin du vide, sans que ce soit problématique, sans doute parce que j’écris. Beaucoup de gens se sont appelés, parlés, ont établi un contact permanent entre eux. Je n’ai pas ressenti cette nécessité. J’ai pris comme une chance le fait de bien vivre l’isolement. Notre condition humaine nous oblige à être en relation les uns avec les autres, à être interdépendants, mais le vide doit trouver sa place. Peut-être que cette séparation sanitaire forcée va désormais nous le rappeler. Nos disparités sociales ont également pris une importance accrue lors de ce confinement. Là encore pas d’égalité. J’ai beaucoup pensé aux femmes, aux enfants battus, à ces familles victimes d’un pervers ou d’un alcoolique, contraintes de vivre un enfer faute de moyens pour y échapper. Ils vécurent la triple peine : isolement, pauvreté, violence.

Comment avez-vous vécu l’arrêt de vos pièces ?

La symbolique du théâtre fermé est très triste. Ces lieux de rassemblement permettent aux gens d’être unis, de rire ensemble. Le contraste fut saisissant car je courais d’un théâtre à l’autre pour voir mes deux pièces « Le banquet » et « Monsieur X », et du jour au lendemain, le rideau de fer s’est baissé. On a plié bagage. C’était très dur de voir ce théâtre vide alors que la veille encore tous les sièges retentissaient de rire. On a pleuré, beaucoup. J’ai eu la chance d’aller jusqu’au bout avec Pierre Richard (ndlr comédien de « Monsieur X »).

Comment avez-vous eu l’idée de « Monsieur X » ? Comment écrit-on d’ailleurs un spectacle sans texte ?

Un spectacle sans parole offre au comédien la possibilité de s’exprimer sans faire usage des mots. Le visuel prend donc une
nouvelle dimension. Monsieur X est mon troisième spectacle sans paroles, écrit sur mesure pour Pierre Richard qui rêvait de
goûter au muet. Tout ce qui m’a traversé en tant qu’artiste m’a conduit au « théâtre visuel ». La danse a été ma première formation. Ce sont des spectacles très chorégraphiés. La musique également est pour moi la base de tout. Je me suis demandé: quoi faire de tout cela ? Qu’est-ce qui nous définit ? Quelle est ma place dans le monde ? Que puis-je apporter de particulier ? Ma réponse se trouve dans ce mélange de plusieurs disciplines, comme pour les comédies musicales, sauf que je ne voulais pas en faire une de plus.
J’ai donc trouvé une forme où par exemple la parole est transformée en borborygme, puis en grommelot. Cela a pour vertu de faire rire puisque finalement tout le monde comprend sans qu’il y ait de mots. Ils sont remplacés par la musique des phrases, l’intonation. Sans le support des mots pour expliquer les situations, le comédien doit être totalement connecté aux intentions. C’est un gros travail sur la véritable émotion et la traduction de cette émotion.

Est-ce que vous considérez qu’avec l’écriture de ce spectacle vous avez trouvé votre place ? Plus que lorsque vous n’étiez « que » comédienne ?

Il ne s’agit pas de rayer son histoire, d’effacer les choses. Je ne pratique plus la danse par exemple. Mais je trouvais dommage de ne rien en faire. Nous sommes pluriels. Ce qui compte, c’est com- ment on transforme, on transcende tout ce par quoi on a été traversé, et qui, en fait nous constitue.

Quel a été votre coup de cœur littéraire ?

J’avais été très marquée par La Métamorphose de Franz Kafka. J’ai senti en le lisant comme une ouverture, celle de l’infinité de tout ce qu’on peut imaginer. Cette histoire était à la fois folle et possible. Nous sommes contraints de nous ancrer dans la réalité mais la littérature, l’art en général nous montre qu’on peut s’élever au-dessus de soi.

Qu’aviez-vous prévu de faire dans les prochains mois ?

Il était prévu que je me remette à l’écriture sur plusieurs mois. Je suis habituée à passer d’un extrême à l’autre : des salles pleines au vide de l’écriture, à cette solitude obligatoire, inhérente au principe créatif. Je me suis isolée pour écrire, un peu plus tôt que prévu !