Le statut final de Jérusalem représente à tous égards la quadrature du cercle de tout accord de paix au Moyen-Orient.
Dans un moment où les nuages s’assombrissent un peu partout, en particulier sur la Jordanie et sur les territoires administrés par l’Autorité palestinienne, c’est un exercice presque gratuit que de penser à ce que pourrait être la négociation finale. Pourtant, la question du statut de Jérusalem dépasse en importance toutes les autres. Elle implique dès le départ non seulement les habituels interlocuteurs palestiniens d’Israël, mais dans la réalité l’ensemble des états islamiques, et pour dire les choses encore plus clairement, la communauté internationale dont la sanction qu’elle est en mesure d’apporter au compromis final aura pour effet, sinon de pérenniser, au moins de garantir dans la durée un arrangement dépassant la pure convenance tactique.
Le problème de Jérusalem en effet excède d’emblée celui d’un partage sur le terrain entre deux entités, juive et arabe. La tentative désespérée, lors de la négociation de l’an 2000 de partager au centimètre la vieille ville de Jérusalem s’est heurtée d’emblée aux conditions absurdes de sa mise en œuvre. Imagine-t-on un Mur des Lamentations serré de près par la frontière internationale et une esplanade des mosquées rendue désormais inaccessible à tous les non musulmans ? C’est la raison pour laquelle, un plan définitif de pacification doit à mon avis séparer la vieille ville du reste de Jérusalem, comme elle l’est du reste dans la topographie elle-même par la hauteur de ses murailles, édifiées au Moyen-Âge par les Mamelouks.
« Il serait possible, à côté du Saint-Sépulcre et de la Mosquée El Aksa, que s’élève bientôt, sous l’égide du judaïsme, une ‘Maison de prière pour toutes les nations’ conformément à la parole prophétique. »
Il y a de toute évidence une frontière ethnique en place dans le grand Jérusalem. Presque jamais un chauffeur de taxi israélien ne se rend dans les quartiers arabes de l’Est de la ville, et c’est très rarement que les habitants arabes de Jérusalem se déplacent désormais dans les quartiers juifs, à l’Ouest. Mieux, en acceptant que les citoyens palestiniens de Jérusalem puissent voter pour le renouvellement de l’Autorité palestinienne, l’État d’Israël a déjà tacitement admis le statut de la population arabe de la ville, c’est-à-dire celui d’une section du peuple palestinien. Qui du reste voudrait naturaliser d’un trait de plume 150 000 palestiniens de Jérusalem au risque d’augmenter la population arabe de l’État d’Israël ? La situation est d’autant plus claire que le Grand Jérusalem, qui s’étend bien au-delà de la frontière municipale formellement annexée à Israël englobe à présent Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne, Bethlehem et Abou Dis, où siège depuis des années un préfet palestinien nommé par l’Autorité et qui a, dans les faits, autorité sur la population arabe de Jérusalem.
L’essentiel et le symbolique
Ehoud Olmert, fort de son expérience décennale de Maire de Jérusalem, a eu le premier le courage de le dire. Un partage de l’ensemble urbain de Jérusalem ne constituerait demain que la reconnaissance de jure d’une situation de facto à laquelle il serait fou de vouloir changer quoi que ce soit. Mais il va aussi de soi que ce partage qui ferait de Jérusalem également la capitale de l’État palestinien, constituerait une concession de taille de l’État hébreu. Elle devrait donc être repayée par l’annexion pure et simple à la ville juive de Jérusalem du quartier nouveau de Maaleh Adoumim (sans doute relié par un souterrain qui éviterait de casser topographiquement la zone arabe), l’ensemble des quartiers nouveaux de Goush Etsion, dont l’histoire rappelle aussi un massacre de la légion arabe en 1948. Dans la direction nord, en outre, l’aéroport de Jérusalem devrait être viabilisé et maintenu dans les frontières de l’État d’Israël. Mais en revanche, il est plus que vraisemblable que le mur de séparation devra être rectifié et simplifié, de toute évidence au profit de la partie palestinienne dans la zone nord de l’agglomération urbaine. Si toute cette réorganisation n’ira pas sans difficultés ni grincements de dents, elle ne touche pourtant pas à l’essentiel, c’est-à-dire au symbolique.
« Tout milite pour faire d’une vieille ville unitaire le point de coexistence indispensable des trois grandes religions monothéistes et le lieu, un peu utopique, de leur non moins indispensable réconciliation. »
S’agissant de la vieille ville, en revanche, il me semble ruineux et dangereux que d’en séparer le tissu unitaire en autant de quartiers bientôt antagoniques. Il me paraît aussi très discutable de faire du nouvel État palestinien le tuteur des lieux saints chrétiens, surtout avec la montée en puissance des Frères musulmans et l’intolérance antichrétienne qu’ils ont jusqu’ici manifestée, en Égypte et en Syrie certainement, en Palestine et en Israël de manière implicite mais très efficace : Que sont devenus par exemple les 65 % d’habitants chrétiens de Bethlehem, tombés aujourd’hui à moins de 15 %, et que deviendrait la majorité chrétienne de Nazareth si cette petite ville de Galilée n’appartenait pas à l’État d’Israël ? Bref, tout milite pour faire d’une vieille ville unitaire le point de coexistence indispensable des trois grandes religions monothéistes et le lieu, un peu utopique de leur non moins indispensable réconciliation.
Le Temple de l’avenir
Il existe un précédent à cette situation, celui du Concordat de 1929 par lequel l’État italien accepte l’indépendance formelle de la Cité du Vatican, toute entière administrée par l’Église catholique universelle. Comme dans le cas du Vatican, Israël, à l’instar de l’État italien, pourrait conserver au moins pour une période de transition assez longue, des pouvoirs de police et de sécurité dans l’ensemble de la ville. Mais l’administration civile des quatre quartiers, juif, musulman, chrétien (avec le Saint-Sépulcre) et arménien devrait incomber à un organisme indépendant et pluri-religieux.
Ici s’ouvrirait un nouveau débat tout à fait crucial pour le fonctionnement de la ville : Étant donné que la partie chrétienne ne pourrait être représentée par un État chrétien particulier (à la différence de la situation qui régnait au début du siècle, catholiques par la France, orthodoxe par la Russie, protestant par l’Angleterre et l’Allemagne), la solution s’impose d’elle-même. La nomination de trois ou quatre commissaires représentant chacune des grandes confessions chrétiennes, le quatrième commissaire pouvant représenter les églises monophysites copte, éthiopienne et arménienne.
« Israël a déjà admis le statut des habitants de Jérusalem-Est. Qui voudrait naturaliser d’un trait de plume 150 000 Palestiniens au risque d’augmenter la population arabe de l’État d’Israël ? »
Symétriquement, les quatre représentants de l’Islam ne pourraient évidemment être tous des citoyens palestiniens. D’abord parce que les chiites devraient être représentés dans l’administration d’Al Quds au même titre que le seraient les protestants chrétiens ; ensuite parce que le statut particulier de gardien des lieux saints accordé à la dynastie saoudienne devrait lui permettre d’appointer elle aussi un représentant ; les deux autres pourraient alors être confiés à l’État palestinien et à l’Université Al Azhar du Caire pour les sunnites.
Les juifs seraient alors en droit de nommer eux aussi quatre représentants désignés par les deux grands rabbins sépharades et ashkénazes d’Israël, par le gouvernement israélien lui-même et peut-être bien pour le quatrième d’entre eux par la communauté de la Diaspora. On comprend bien le caractère utopique d’une telle proposition qui suppose dans chacune des grandes confessions un immense mouvement de sublimation des conflits traditionnels ou récents et un double acter d’ouverture vers les autres religions d’une part, vers les autres formes de spiritualité, propre à chacune des communautés en jeu. On pourrait alors imaginer aussi un exécutif de quatre membres, composé d’un représentant de chaque confession et d’un président, élu tous les ans et nécessairement changeant.
À quelques pas de l’universel
Cet équilibre précaire permettrait néanmoins de faire de l’ancien emplacement du Temple de Jérusalem un lieu de prière pour toutes les Nations. Pour nous autres juifs en particulier cette solution sanctionnée par nos plus hautes autorités rabbiniques aurait un avantage supplémentaire : elle nous libérerait de l’injonction qui ne correspond à aucun enseignement normatif consistant à rebâtir le troisième temple sur l’emplacement des premier et second sanctuaires. Pourtant, le songe d’Isaïe décrit le temple de l’avenir avec une topographie et une fonction sensiblement différente. Et il serait parfaitement possible à côté du Saint-Sépulcre et de la Mosquée El Aksa que s’élève bientôt, sous l’égide du judaïsme une « maison de prière pour toutes les nations » conformément à la parole prophétique.
Un tel programme est sans doute loin de la réalité quotidienne. Mais en forçant l’Iran chiite, l’Égypte sunnite et l’Arabie wahhabite à donner leur consentement à la paix que signeraient les Palestiniens, il s’agirait, à Jérusalem à tout le moins, d’une reconnaissance symboliquement irréversible de la restauration du fait juif sur la terre de nos ancêtres. En forçant les confessions chrétiennes à un œcuménisme dont on ne voit guerre la manifestation dans les grotesques comédies dont le Saint-Sépulcre est le théâtre quotidien, on élèverait aussi la profession de foi chrétienne au niveau de fraternité qui correspond à l’enseignement du Christ.
Quant au peuple d’Israël, confondu avec sa Diaspora, il accomplirait là ce petit mouvement en arrière qui symbolise dans le Kaddish l’arrivée de la dernière strophe. Après une longue louange en araméen, la langue de tous les jours, l’hébreu y fait son apparition comme langue sacrée d’un véritable shabbat cosmique qui ne peut que faire référence au Troisième Temple. Et cela, nos sages nous l’avaient déjà enseigné, suppose aussi un pas en arrière exprimant le respect de l’autre, mais surtout le respect de Dieu.