Entretien avec le réalisateur de Yossi, qui sort le 2 janvier en France, la suite de Yossi & Jagger. Eytan Fox, portraitiste de la complexe réalité israélienne d’aujourd’hui.
Quels sont vos premiers souvenirs de Jérusalem ?
Mes parents ont fait leur alya en 1967. Juste après la guerre des Six jours, en pleine vague d’enthousiasme où tant de monde désirait vivre dans ce merveilleux pays. Mon père a trouvé un bon travail à l’Université hébraïque de Jérusalem, tandis que ma mère était engagée en tant qu’urbaniste à la mairie. J’ai grandi dans le quartier de Guiva Tsarfatit. On a mis du temps à s’ajuster au mode de vie israélien. Ma mère portait des gants blancs et des habits ornés de perles, tandis que toutes les autres mères portaient de vieux pyjamas. Notre foyer vivait à l’heure américaine dans tous les domaines : la nourriture, la musique et surtout la langue. Jérusalem était une ville où il faisait bon vivre.
Pourquoi « était » ?
Jérusalem possède toujours un pouvoir de fascination. Néanmoins, beaucoup de jeunes quittent la ville. On ressent de l’incompréhension entre les différentes populations, un rigorisme idéologique qui freine les rencontres, les discussions. C’est d’ailleurs ce qui me manque le plus de mes années de jeunesse, l’art de la rencontre et de la chaleur humaine témoignée par les voisins qui vous accueillent chez eux. Une chaleur et une simplicité difficile à retrouver aujourd’hui, à Jérusalem ou ailleurs, même s’il existe dans la capitale une certaine vie de quartier qu’on ne retrouve pas nécessairement à Tel Aviv.
Au lycée, vous avez fréquenté l’école René Cassin ?
Maîtriser l’anglais et l’hébreu n’a pas fait de moi un enfant particulièrement doué pour l’étude des langues. Mon séjour à l’école René Cassin de l’Alliance en a été la preuve. Malgré mes études dans cet établissement réputé, je n’ai jamais réussi à parler correctement le français. Lorsqu’est venu le temps de s’engager à l’armée, j’ai opté pour une unité d’élite : les parachutistes. Ce fut une expérience difficile car nous étions engagés dans la guerre du Liban.
Qu’est-ce qui a motivé votre départ pour Tel Aviv ?
À la fin du service militaire, la plupart de mes amis ont voyagé en Europe, en Inde… Moi j’optais pour des études cinématographiques à Tel Aviv. Je me suis retrouvé dans la même classe qu’Ari Folman (qui réalisa Valse avec Bashir), Hagai Levy (l’auteur de la série BeTipoul qui devint In Treatment dans la version américaine), Arnon Goldfinger (le réalisateur de l’Appartement) et de nombreux autres gens talentueux. Nous étions tous marqués, voire traumatisés par notre expérience militaire. À l’époque, on montrait beaucoup de films sur l’armée, toute la génération précédente de réalisateurs travaillait sur ce thème. Lorsque vint le temps de proposer un projet de fin d’études, je me suis lancé dans un court-métrage sur l’armée. Scandale pour mes amis ! Ils me demandaient pourquoi je ne désirais pas faire un film sur Tel Aviv, une ville qui a inspiré mes autres camarades. Je leur ai répondu que mon film serait très différent de ce qui se faisait.
Pourquoi avoir fait ce choix ?
Mes films ont, pour moi, une vertu thérapeutique. Je traite d’un sujet précis, sans concession, et à la fin du film je tourne la page de ce chapitre. After fut pour moi l’occasion de faire mon coming out, auprès de ma famille, de mes amis. Dans ce court-métrage, un soldat accepte sa sexualité après avoir surpris son officier en train d’avoir une relation homosexuelle dans les toilettes d’un parc de Jérusalem. Dans cette démarche thérapeutique, j’ai emmené toute ma classe de l’école de cinéma tourner une scène sur le divorce de mes parents, dans notre appartement de Jérusalem. Cela ne m’intéressait pas de filmer avec une meilleure lumière dans des locaux plus pratiques à Tel Aviv, préférant « tourner sur la scène du crime ». En Israël, je me suis fait connaître grâce à la série télévisée Florentine qui présente un groupe de jeunes de Jérusalem partageant un appartement dans le quartier de Tel Aviv qui donna son nom à la série. Parmi eux, un étudiant en cinéma qui découvre son homosexualité.
Était-ce la première fois qu’on traitait de ce sujet sur écran ?
Amos Guttman fut le premier réalisateur à mettre en scène l’homosexualité. Mais cela se déroulait toujours dans des lieux lugubres. Je souhaitais montrer notre génération, qui partage la vie politique et culturelle du pays, tout en affirmant sa sexualité librement. Qu’être gay n’a rien d’incompatible avec l’envie de faire partie du paysage israélien. En 1997, ce fut la première fois qu’on diffusa en prime time une série ou un film traitant de l’homosexualité. La série rencontra un beau succès et encouragea aussi de nombreuses personnes à sortir au grand jour. Yaël Dayan fut une des pionnières de ce combat au début des années 90. Aujourd’hui, on retrouve dans tous les partis politiques sionistes du Likoud à Meretz des personnes chargées de parler de ces thématiques et d’encourager les homosexuels à voter pour eux.
Êtes-vous surpris par le succès de vos films en France ?
Sur la route de l’aéroport pour présenter mon premier film en France, le chauffeur de taxi m’a demandé le but et le lieu de mon voyage. Suite à ma réponse, il s’est montré surpris : « Pourquoi vas-tu là-bas, ils sont antisémites, ils détestent Israël ! » Je lui ai rétorqué que s’il pensait cela, c’était d’autant plus intéressant d’effectuer ce voyage, afin de parler avec les gens et de faire tomber les préjugés. En arrivant en France, j’ai été très agréablement surpris qu’un pays possédant une telle tradition cinématographique accueille aussi chaleureusement le cinéma israélien. Être nommé aux Césars pour Tu marcheras sur l’eau fut un rêve !
Quels réalisateurs français vous ont particulièrement marqués ?
C’est une question si déroutante ! Avec la première crainte d’oublier de mentionner un réalisateur dans la réponse. Bien entendu, la Nouvelle vague, qu’on a appris à aimer à l’école de cinéma, est incontournable. J’aime les films de Jean-Luc Godard mais j’avoue être plus marqué par ceux de François Truffaut, Claude Lelouch, Louis Malle et Eric Rohmer. Parmi les réalisateurs de ma génération, j’aime particulièrement l’œuvre de François Ozon.
Vous retrouvez dans votre prochain film les acteurs Lior Ashkenazi et Ohad Knoller. Est-ce important pour vous de travailler régulièrement avec les mêmes personnes ?
Lorsque vous créez une relation professionnelle d’un certain niveau cela permet aussi de faciliter l’expression des attentes. Par exemple, si je demande à Ohad d’avoir un certain regard ou une certaine manière de se tenir, c’est plus évident. Mais cela a ses limites. Nous avons décidé avec Gal Uchovsky, mon partenaire dans la vie depuis 24 ans, de limiter notre collaboration cinématographique. Que cela faisait un peu trop. Au niveau musical, j’ai souvent bénéficié de la collaboration d’Ivri Lider. Pour Yossi, j’ai eu le plaisir de travailler avec Keren Ann, une grande amie, qui est venue en Israël et a enregistré une série de chansons israéliennes pour les besoins du film.