Imam de Drancy, Hassen Chalghoumi se donne pour mission de dialoguer avec toutes les communautés. Présent aux commémorations des tueries de Toulouse, présent lors de la venue du Président israélien Shimon Pérès, il est également co-auteur, avec le journaliste David Pujadas, d’un ouvrage intitulé Agissons avant qu’il ne soit trop tard : Islam et République (Le Cherche midi éditeur). Il évoque pour L’Arche ses convictions et combats.
L’Arche : Vous étiez présent dimanche 17 mars à Toulouse à l’hommage aux victimes de Mohamed Merah. En quoi était-ce important pour vous d’y participer ?
Hassen Chalghoumi : C’était très important car l’acte criminel de Merah a été fait au nom de l’Islam. Notre présence, la présence des imams, celle de la communauté musulmane de Toulouse, est très importante pour rejeter l’intégrisme et dire que Merah et la haine n’ont rien à voir avec l’Islam. C’est à la majorité silencieuse qui désapprouve d’afficher sa foi. Il est très important d’être présent pour dénoncer ça, il est important que nous soyons tous là pour dire non au terrorisme. Visiblement dans l’opinion publique 74% des français ont peur de l’Islam, parce qu’ils n’ont pas vu autant de condamnations et de dénonciations de musulmans.
Vous considérez qu’il est de votre devoir de responsable religieux de dire ces choses-là, de différencier l’Islam de ce type d’action ?
Oui bien sûr. Le Président Hollande l’a dit au dîner du CRIF. Il a dit que les musulmans étaient tristes en apprenant des nouvelles comme les tueries de Toulouse, que cela leur faisait mal. Quand on voit cette image-là de l’Islam, quand on voit cet extrémisme et cette barbarie au nom de notre religion, on se sent mal. C’est l’occasion de s’ouvrir vers les autres et de dire non, ne faites pas l’amalgame ! Ces gens là sont des criminels, ils sont dans la haine, ce n’est pas ça l’Islam.
Quel type d’actions faut-il mener en France pour justement casser cette image de l’Islam ?
L’une des priorités est la formation des imams. C’est une action qu’il faut mener au niveau national. Deuxièmement, le dialogue interreligieux, en s’ouvrant vers les autres, vers l’Eglise, vers les synagogues, vers les citoyens. Avec le communautarisme, on se ferme, et de là viennent les préjugés. Il faut participer à la vie associative, à la vie festive même, vivre ensemble, et c’est ainsi que l’on peut enlever petit à petit les préjugés. Il faut aussi que les journalistes nous aident. Bien sûr qu’il faut dénoncer l’intégrisme, parler de certains actes, mais en même temps, il faut donner du positif. Il faut dire que dans l’Islam, il est vrai que certains jeunes sont délinquants ou criminels, mais qu’il y en a aussi qui travaillent. C’est vrai que dans l’Islam il y a une minorité de fanatiques, comme dans les autres religions. Peut-être que chez nous, ce qui se passe en ce moment s’explique par l’âge de l’Islam. Notre religion a 14 siècles. Quand le christianisme a eu cet âge de 14 siècles, la barbarie régnait en Europe ! Peut-être que la révolution dans le monde arabe prend un sens négatif, peut-être qu’il y a de la manipulation dans des sites internet qui deviennent incontrôlable… Mais malgré tout cela, il faut donner du positif. C’est grâce à cela que nos concitoyens, et les musulmans eux-mêmes, n’auront pas la même vision de haine.
Cette idée de former des imams, est-elle à votre avis assez prise en compte par les pouvoirs publics ?
Pardonnez-moi, mais non… M. Valls, à qui je rends hommage, a parlé du sujet. Mais actuellement, je ne vois rien de concret. J’espère que dans l’ombre il y a un projet qui se prépare. Ce n’est pas Chalgoumi qui va former les imams ! Nous n’en avons pas les moyens, il faut vraiment des structures. Dans mes deux livres, j’ai fait des propositions en ce sens. En Alsace-Lorraine, la laïcité ne s’applique pas, ce type de formations pourrait être proposé dans des universités. Un jeune qui a eu son bac pourrait ainsi suivre un cursus et être, au bout de 4 ou 5 ans, un imam, un aumônier en prison, à la gendarmerie ou à l’armée. Etre un prêcheur de paix, de valeurs, de respect, ouvrir les yeux aux jeunes pour éviter des dérives comme celle de Merah.
C’est dans cette même logique de dialogue interreligieux que vous avez souhaité rencontrer le Président israélien Shimon Pérès quand il est venu en France, le 10 mars dernier ?
Tout à fait. Cela m’a énormément touché que Shimon Pérès souhaite voir les musulmans de France, les imams. Nous étions presque une vingtaine. C’est un homme de dialogue, de paix, un ancien prix Nobel. Je lui ai dit « Monsieur vous êtes le grand-père d’Israël et des Israéliens ». Je lui ai dit que nous étions contre l’importation du conflit, que nous souhaitions exporter l’amitié et la paix, ajoutant « si le peuple palestinien souffre nous souffrons aussi, si le peuple Israélien souffre nous souffrons aussi. » C’était un échange très fort, il a parlé de deux Etats, il a parlé de la beauté de l’Islam.
Etait-ce aussi un échange constructif ?
Bien sûr. Après mon discours, il a repris la parole, il était très touché. Il a fait des déclarations sincères qui m’ont ému, ont ému tous les imams. J’ai par ailleurs fait la demande d’accueillir en France plusieurs imams Israéliens. Cela a été accordé par l’Etat israélien, en guise d’échange. Nous, imams français avons été en Israël et en Palestine. Maintenant, 9 imams arabes Israéliens vont venir en France, à Toulouse notamment. C’est grâce à ce genre d’actions entre les musulmans, la communauté juive et les Israéliens que l’on peut dialoguer, aller vers la jeunesse, vers l’art, vers les religieux, vers tout le monde.
Savez-vous quand ces imams Israéliens arriveront en France ?
Normalement très bientôt, le 3 avril.
Vous avez publié, vous le disiez, deux livres, Pour l’Islam de France, (le Cherche midi éditeur) en 2010 et Agissons avant qu’il ne soit trop tard – Islam et République (le Cherche midi éditeur) en 2013.
Le premier évoque l’Islam de France, l’Islam en France, définit le jihad, les mouvances, et évoque aussi mon parcours. Le deuxième livre, paru il y a quelques semaines, est un livre d’entretiens avec le grand journaliste David Pujadas, sur des questions cruciales, centrales. Nous l’avons écrit après ce sondage disant que 74% de français avaient peur de l’islam, un an après l’affaire Merah, après également l’interpellation de ce groupuscule qui préparait des attentats, après l’intervention au Mali. L’année 2012 a été riche. Nous abordons une série de questions… et aussi de réponses.
Quel écho rencontrent-ils ? Avez-vous le sentiment que les lecteurs sont réceptifs ?
Là où je vais, je vois des gens qui me disent qu’ils ont lu mes livres, que ça leur a donné une nouvelle vision sur l’Islam, qu’ils commencent à comprendre ce que c’est. Des musulmans me disent bravo, me disent aussi qu’ils partagent ce que je dis. Du travail reste à faire mais il y a beaucoup d’échos positifs.
On sait aussi que vous êtes critiqué, et même menacé.
Ce n’est pas facile, mais je commence à adapter ma vie à tous ces dangers. J’ai une protection policière 24h sur 24. Il y a des sites internet de haine… Dernièrement, quand j’étais le 19 mars à Paris, j’ai dit que Merah était peut-être mort physiquement mais son idéologie circulait librement sur Internet. C’est l’une de nos faiblesses. Si l’on veut protéger, il faut faire le nécessaire, fermer des sites, être ferme. On ne peut pas accepter la haine, le racisme, l’antisémitisme au nom de la liberté. La France se donne des moyens pour aller protéger les maliens face aux fanatiques, ce à quoi je rends hommage, Nous citoyens en appelons aux pouvoirs publics pour leur dire protégez-nous, faites le nécessaire, faites des lois, parce que la situation est grave, surtout sur les réseaux sociaux et internet. Certains sites de haine sont parfois hébergés à l’étranger, mais on peut faire des lois aussi pour cela.