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France

De quelques principes du Talmud sur la dignité humaine au travail

S’affranchir de l’asservissement : un des piliers de l’éthique talmudique

 

Bénédiction ou malédiction ? A l’origine du mot travail, c’est le terme latin de « tripalium » qui signifie littéralement torture et qui semble dominer l’histoire de la condition humaine au travail.

« La notion d’épanouissement et de plaisir dans le travail n’est pas prise en considération dans le Talmud. Ce n’est pas non plus une sanction mais le travail est cependant associé à à ce qui exige de la peine, voire de la pénibilité. », nous éclaire le rabbin Josy Eisenberg. « La Bible dit : l’homme est né pour la peine ». Les exégètes du Talmud se sont interrogés pour savoir la nature de cette peine à laquelle l’homme a été condamné. A étudier ou à travailler ? Est-ce la peine spirituelle ou la peine physique ? « La notion que tout travail est pénible reste, explique ce commentateur, admissible dans les deux cas. Le travail fait partie des contraintes de la condition humaine, parmi les autres. »

A la source de l’éthique juive, quelles sont les références sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour le respect de la dignité de l’homme au travail ? « Le Talmud a beaucoup développé la législation du travail », souligne ce rabbin qui nous rappelle un des grands principes talmudiques : « L’homme ne doit pas être esclave ». En citant la parole divine : « Vous êtes mes serviteurs que j’ai fait sortir de l’esclavage d’Egypte pour être serviteur de Dieu. ». « Ainsi la loi rabbinique, commente J. Eisenberg, interdit qu’un serviteur devienne un esclave. Le franchissement de la ligne historique de l’asservissement est contenue dans la modification du mot Eved (esclave) en Oved (travailleur). »

Pour notre commentateur, il s’agit là de cesser d’être dans la servitude pour être dans le service. Comment clarifier, dans l’activité concrète et quotidienne, cette ambiguïté ? « Une des obsessions de la loi rabbinique, répond-il, « est que le travail doit être contrôlé pour qu’il ne devienne pas un esclavage ». Ce principe moral fondamental s’applique aussi bien aux hommes qu’aux animaux. Prévenir la souffrance, socle essentiel de la prévention du risque lié au travail, est ainsi appliquée aux animaux : « par exemple, ne pas atteler un boeuf et un âne ensemble qui n’ont pas la même puissance de traction. Un tel attelage ferait souffrir l’âne puisque le boeuf tirerait plus fort ».

La compassion pour la souffrance animale s’étend dans les règles de l’abattage rituel (la shekhita) dans l’interdiction de la souffrance animale. Si on interdit de surcharger un âne ou un boeuf, autrement dit de respecter la force de travail des animaux, « on ne peut aller au-delà, précise-t-il, de la force de travail des travailleurs ».

Cette règle biblique de préservation de la santé s’est développée, depuis moins d’un siècle, par l’institution de la médecine du travail chargée de surveiller les risques physiques et psychiques auxquels sont exposés les salariés et en alerter l’employeur. Dans ce champ des règles de cette institution, il n’existe pas de compromis sur la santé au travail. C’est la santé qui prime avec la prévention de la souffrance. Mais, cela reste encore très théorique car les victimes des maladies professionnelles et des accidents du travail sont légion et cela constitue un problème majeur de santé publique.

Le repos hebdomadaire : une invention juive

« Il existait selon la Bible, rappelle cet éminent rabbin, une forme d’esclavage fondée sur le fait que des personnes endettées se vendaient, ainsi évidemment que leur force de travail, à un employeur auxquels il étaient assujettis. Mais, dans nombre de chapitres de la Torah, il y a un incessant rappel de bien traiter les serviteurs et à mettre des limites à la servitude en veillant notamment à ne pas renvoyer l’employé les mains vides en lui assurant, au minimum, des dons alimentaires. »

Cette règle du minima moral, est cependant recadrée de façon encore plus solidaire par la parole d’un rabbin adressée à l’employeur et citée par Josy Eisenberg : « Même si tu leur offres un repas aussi fastueux que celui du roi Salomon, tu n’auras pas rempli ton contrat ». Ainsi, commente t-il à bon escient, « il n’existe pas, dans la Bible, de limite aux devoirs et aux obligations alimentaires que l’employeur a envers son employé. » D’emblée, il cite une des règles emblématiques de la Bible qui est « l’obligation de payer un salarié chaque soir. « Tu ne laisseras pas dormir les salaires chez toi. Tu lui donneras son salaire le jour-même. »

A cet engagement, qui a devancé d’un millénaire les toutes premières revendications syndicales de ces deux derniers siècles, « d’autres règles contractuelles ont été instituées, rappelle Josy Eisenberg. « Elles concernent la charge quotidienne de travail. Le matin, l’homme va à son travail, le soir il se couche. » Version antique du métro-boulot-dodo ? Bien que les horaires stricts ne soient pas précisés, la journée moyenne varierait entre 8h et 10h et découlerait davantage d’un accord contractuel.

L’institution du Shabbat reste toujours la référence originelle et universelle des droits de l’homme au travail, à savoir le réparateur repos hebdomadaire. « Le Shabbat, tient à souligner le rabbin Eisenberg, ne signifie pas à proprement parler se reposer, mais la cessation du travail. Et le mot grève (shevita) s’écrit comme shabbat. Cette invention juive, qui quelques siècles plus tard, a donné lieu au Dimanche de repos, était fort mal vue des Romains qui qualifiaient les Juifs de fainéants car ils s’arrêtaient de travailler un jour par semaine. » Son application fait encore défaut  pour près plus d’une centaine de millions d’êtres humains.

Le respect de la dignité humaine au travail est un point fondamental de l’éthique juive. Cette notion résonne toujours de façon très cruciale pour des millions de travailleurs. La Bible tient à prévenir cette dérive du rapport employeur/employé par un rappel plus que jamais d’actualité : « aime le travail, pas le pouvoir », conclut Josy Eisenberg.