Elie Semoun est un comique, mais pas seulement… C’est avant tout un homme qui continue à cultiver l’enfant en lui. Son autobiographie décrit un cheminement, masquant des failles et une terrible envie d’exister. Rencontre avec un être sensible, qui se révèle sous un autre jour. Il aborde son identité avec sincérité et humour.
D’où vous vient le goût pour la littérature ?
Enfant, je vivais dans un appart plein de bouquins. J’ai commencé par la bibliothèque rose et verte. Ma mère étant prof de français, elle m’a transmis l’amour des langues, des mots, du papier et des stylos. Vu mon incapacité à parler, cela m’arrange d’écrire, notamment pour communiquer avec les filles (rires). L’écriture se prête mieux à la réflexion, mais en tant que rêveur, ça me va bien de lire.
Que reste-il de l’enfant en vous ?
Trop de choses… Je m’en suis aperçu avec les femmes, qui vous font comprendre si vous êtes un bébé ou un adulte. Delanoë, qui est l’un de mes amis, m’a recommandé de préserver la préciosité de l’enfance. Celle-ci comprend une liberté totale et la faculté d’être surpris en permanence.
Le livre s’intitule « Je grandirai plus tard », que signifie dès lors grandir ?
Ne plus être insouciant, être dépossédé de sa part de folie ou de fantaisie. Une fois qu’on fait ça, il est impossible de se lancer dans un one-man-show devant des centaines de personnes. Or moi, je me mets en danger tout le temps. Mon obsession ? Etre différent. Comme j’étais orphelin de mère, cela représentait déjà une originalité en soi. Ma vision du monde, de la société et de l’humanité n’appartient qu’à moi. Elle est assez noire, c’est pourquoi mon humour souligne le pathétique des situations et des gens. Cette vocation est née dans l’enfance, je ne fais que la prolonger.
A force « d’inventer la vie des autres pour cacher la sienne », pourquoi avoir accepté de réaliser cette autobiographie ?
J’ai longuement refusé de la faire, puis je me suis arrêté en plein milieu des entretiens car cela ne me semblait pas légitime de raconter ma vie. Qui pourrait s’intéresser à elle ? Finalement, je me suis lancé pour la mémoire de mon frère, dont les textes sont à découvrir dans ce livre. Il avait un vrai talent d’écriture, une sensibilité qui dormait dans des cahiers, au fond des tiroirs. Ça m’a ému aux larmes de les redécouvrir. Mon frère est mort, alors ce texte me permet de le faire revivre. Il ne s’agit ni d’une psychanalyse ni d’un déballage. Sincère, je raconte beaucoup de choses tout en gardant mon jardin secret.
Vous rendez aussi un bel hommage à « Manpa », votre père qui a dû endosser le rôle paternel et maternel.
On s’aime beaucoup. Il me faire rire, m’émeut ou m’énerve. Etant donné qu’il est à moitié sourd, nous avons des conversations folles. Marrant, coquin et dragueur, il a une façon de dire n’importe quoi à n’importe qui. Mon père a une telle malice dans les yeux ! La mort d’une mère n’est pas naturelle dans la vie d’un enfant. Ça détruit ou ça construit. Alors que j’ai sauvé ma peau, mon frère a vécu dans le culte du souvenir. Ma mère reste toutefois très présente, comme tous les morts qui comptent.
En quoi étiez-vous un ado rebelle ?
J’avais envie de faire peur aux gens, de les bousculer. Refusant de laisser quiconque indifférent, je peux passer ma vie à provoquer des émotions chez les autres. Je ne me vois plus comme un rebelle aujourd’hui, mais je continue à avoir une vie différente. Cela me plaît de rencontrer des êtres diversifiés et de me mettre en danger tous les jours.
Qu’avez-vous ressenti en devenant père ?
C’était un moment spécial, puisque mon fils est né prématurément. J’avoue ne pas avoir de reflexes d’adulte. Après avoir longuement joué au copain, je me dois de le devenir face à ce jeune de 18 ans qui se cherche encore. Ça me plaît de lui transmettre le goût du travail et de l’apprentissage. Les gens ne m’imaginent pas père, ils me voient comme un gamin irresponsable ! Or mon fils symbolise ma plus belle création. Il commence à peine sa vie, alors je ne vais pas lui mettre des bâtons dans les roues. On partage des choses très fortes ensemble, même s’il ne s’agit que d’une soirée télé à deux.
Pourquoi l’humour est-il « un art de vivre » ?
L’humour incarne, à mes yeux, la forme ultime de l’intelligence. Ainsi, les humoristes perçoivent ce que les autres ne voient pas. Paradoxalement, je m’interroge : pourquoi fait-on rire si au fond, on est triste ? Il m’était vital de me faire aimer quand j’étais petit, car j’étais si frustré. Mais je suis devenu plus sage avec le temps… L’humour reste ma raison de vivre, j’y mets tout. Cela représente un espace de liberté, dans lequel je peux exprimer ma vision du monde.
Qu’admirez-vous chez Gad Elmaleh ?
J’aime son aisance et son côté caméléon. Il connaît tout le monde dans tous les milieux, même les rois comme Seinfeld ou Woody Allen. Gad sait gérer son image à la perfection. J’avoue être aussi admiratif qu’envieux (rires).
Vous percevez-vous comme un juif marocain ?
Quand je vois Gad Elmaleh, Jamel Debbouze, Arthur ou Patrick Timsit, je me dis qu’il existe un humour marocain. Celui-ci se traduit par l’autodérision, un refus de se prendre au sérieux et un certain fatalisme. Je suis né à Paris, mais mes racines sont judéo-marocaines. Cela ne signifie pas que j’appartienne à une communauté. Bien que je me sente juif, dans ma culture et mon éducation, je ne suis pas croyant. Le judaïsme est une religion très profonde. Il suffit de se pencher sur les textes pour y percevoir une grande philosophie. Contrairement aux chrétiens ou aux musulmans, personne ne vous force à être juif, c’est même « un chemin de croix » pour le devenir.
Quelle est votre vision d’Israël ?
Il faut une terre pour les juifs, or c’est fou comme ça pose problème ! Je me sens très proche de la « Terre promise », mon esprit lui appartient, notamment à Jérusalem, une ville si prenante. Ce lieu, hautement symbolique, vibre à chaque instant.
Qu’est-ce qui vous rend vivant ?
Quand je crée ou que je plante quelque chose. Le jardinage est une forme de création pour moi. Apaisant, le paysagisme m’a sensibilisé à la beauté des plantes. Autre oxygène, le public qui m’a élu. Je n’existerais pas sans lui car, il me donne l’impression d’être le prince de ma propre planète. Ma philosophie : « on verra bien ». Si j’ai du mal à me projeter dans l’avenir, c’est parce que j’ai toujours peur de la mort. Je préfère me laisser aller que de prévoir quoi que ce soit. L’important étant d’aimer et d’être aimé car telle est ma définition du bonheur.